le mag du piano

Entretien

Nelson Freire

par Frédéric Gaussin

Nelson Freire Lettrinee volume Debussy est une première, dans votre discographie. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à graver les Préludes aujourd’hui ?

Je dois être amoureux d’un répertoire, pour le jouer ou l’enregistrer : c’est ma condition première, sine qua non. A quelques exceptions près, mes disques sont tous consacrés aux grands Romantiques : Chopin, Brahms, Beethoven, Schumann… Avec Debussy, j’ai surtout voulu proposer quelque chose de différent. Ce qui est drôle, c’est qu’en passant récemment par hasard au rayon musical de la FNAC (je m’y rends souvent, mais pour acheter des DVD de films des années quarante, que j’aime beaucoup), je me suis aperçu que tout le monde avait eu la même idée ! Je m’attendais à trouver Gieseking, et j’ai découvert nombre d’enregistrements récents. Je ne peux rien contre cela, je crois ! [rires]

Vous auriez pu choisir les Estampes, les Images

Je les joue aussi. Il n’est pas impossible que je les enregistre. Mais j’aime profondément les Préludes, et puisqu’il fallait se décider pour ce début, j’ai opté pour eux.

Les rythmes, la sensualité, les couleurs, le pouvoir d’évocation sonore de ces pages s’accordent très bien, me semble-t-il, à la qualité de votre jeu

Debussy est pourtant venu relativement tard, dans ma vie. Je dis relativement parce que j’ai commencé très tôt. Je me souviens quand à douze ans, à Rio, mon professeur Lucia Branco me dit qu’il y avait un trou énorme dans mon répertoire : « Tu ne joue pas de musique impressionniste ! ». Je la revois comme si c’était hier. Alors elle m’a expliqué, et sans doute ce fut une explication merveilleuse parce qu’elle était un professeur formidable, très cultivée, et douée pour la parole. Elle savait se faire comprendre d’un enfant. Elle m’a donné la Cathédrale engloutie à travailler, puis les Children’s Corner, mais je n’ai pas joué Debussy en public par la suite parce que j’en avais peur. C’est un territoire spécial, un autre toucher, une autre technique. En 1967, je suis allé entendre Guiomar Novaes pour l’inauguration du Queen Elisabeth Hall. Elle n’avait pas joué à Londres depuis 30 ans. C’était une grande occasion. La deuxième partie de son programme, justement, comportait un groupe Chopin (dont la Sonate op. 58), puis un groupe Debussy. Un autre pianiste aurait conclu par la Sonate en si mineur, qui est une œuvre éclatante, mais Novaes a terminé par les Poissons d’or (c’était d’un chic !), après avoir joué la Soirée dans Grenade, les Collines d’Anacapri et Minstrels. J’ai été ébloui par ses interprétations. A partir de là j’ai commencé à programmer Debussy moi aussi. J’ai remarqué que je me sentais très à l’aise dans ce répertoire. Beaucoup de collègues m’ont encouragé, et l’idée de faire ce disque s’est peu à peu imposée.

Avez-vous tenu à choisir un piano particulier pour le réaliser ?

Je prends les pianos comme ils viennent, comme un destin : ils font l’affaire ou non, même si de bons techniciens peuvent corriger les choses (j’ai eu quelques expériences avec des pianos que je jugeais injouables). A Hambourg, Steinway m’a proposé un très bel instrument, à la sonorité profonde. J’étais très content. J’ai aussi beaucoup aimé l’acoustique de la salle Friedrich Ebert. Pendant les essais, mon équipe a paru enchantée. J’ai simplement demandé aux ingénieurs de reproduire fidèlement ce que l’on percevait sur place. Je n’écoute pas mes disques, vous savez. Je n’écoute pas mes prises, ni sur le moment, ni après. Quand les choses se passent bien, j’en réalise trois, différentes, puis je laisse la décision aux producteurs. Ils me connaissent. Je leur fais confiance.

Guiomar Novaes vous a-t-elle parlé du Paris de l’avant-guerre, du monde, des personnalités debussystes qu’elle avait connus ?

Oui bien sûr, mais le Brésil et la France entretenaient des liens forts. Pour nous les Etats-Unis n’ont pas existé avant la Seconde guerre mondiale. Je pourrais parler de Magda Tagliaferro, par exemple, qui était très sympathique, très charmeuse, intelligente et si belle d’allure. Elle était venu étudier à Paris. Le Français fut longtemps notre deuxième langue. C’est remarquable dans la mesure où Rio n’est pas une ville européenne, contrairement à Buenos Aires, par exemple, qui l’a toujours été (même si notre théâtre municipal est une réplique du Palais Garnier), or on créait souvent chez nous les œuvres des compositeurs français dans la foulée immédiate de leurs premières auditions parisiennes. Ce fut le cas pour Ravel et pour Debussy, qui était très prisé. Nous avons retrouvé ce mot, qu’il a écrit au sujet de Guiomar lors de son épreuve d’examen au Conservatoire : « Une fille du Brésil avec des yeux ivres de musique et le pouvoir de complète concentration ». Elle me parlait de Cortot, de Philipp... beaucoup de cette époque. En fait elle était très unie à Josef Hofmann, qui était son pianiste préféré, avec Paderewski. Les Américains l’avaient d’ailleurs surnommée la « Paderewska des Pampas », en confondant le Brésil avec l’Argentine !

Avez-vous conservé le souvenir de votre premier professeur, le Maestro Fernandes, à Varginha ?

Fernandes était uruguayen. Il parlait avec un léger accent. Je me souviens seulement qu’il fumait sans arrêt. Sa femme, une brésilienne, était très maternelle. Je l’aimais beaucoup parce qu’elle préparait un picadinho délicieux… Mais lui, je ne l’ai jamais entendu jouer du piano. Je le voyais une fois par semaine. Il vivait à quatre heure de bus de la maison. Il ne m’a donné que 12 leçons, puis il a appelé mon père pour lui dire avec une grande honnêteté qu’il n’avait plus rien à m’apprendre. Mon père, alors, prit une décision très courageuse : celle de changer de vie, pas seulement de métier, en entraînant toute sa famille dans la capitale de la République. Vous n’imaginez pas ce qu’était mon village natal, Boa Esperança, dans la première moitié du siècle. Quelques familles seulement y vivaient, des familles de 10 frères et sœurs. C’était une communauté de campagne, il n’y avait ni route véritable, ni infrastructure. Mon père a quelquefois éprouvé le mal du pays, par la suite. De pharmacien, il était devenu employé de banque. Mais ma mère était très forte.

C’est à Rio que vous avez rencontré Luisa Branco et Nise Obino

Deux rencontres importantes. Pendant deux ans j’ai nagé, comme ça, livré à moi-même. Ça a vraiment été difficile, avec ma nature timide, un peu sauvage. A l’époque j’étais un peu le prototype de ce que l’on appelle le cross-over aujourd’hui. Je jouais autant de musique classique que de musique populaire. C’est après que les choses se sont séparées. La musique, c’était ma passion, j’adorais improviser, j’adorais les partitions. Je ne savais pas écrire, et je demandais à mes parents de m’acheter du papier dont je couvrais les portées de notes. Cette liberté m’a transporté dans un autre monde, mais ne m’a pas facilité le contact avec un professeur « normal » (nous en avons épuisé beaucoup), et pas même avec Luisa Branco qui avoua ne pas pouvoir me prendre en charge. Lors de notre première rencontre, j’ai joué sur le piano droit qu’elle réservait aux élèves, puis je me suis caché dans l’interstice qui séparait l’instrument du mur pendant qu’elle parlait à mon père. Elle lui dit que j’étais un enfant très particulier, qu’elle n’avait ni le temps, ni la patience de s’occuper de moi mais que Nise Obino, son assistante, le pourrait sans doute à condition qu’elle s’intéresse à moi. Et avec elle, ce fut un véritable coup de foudre, une entente immédiate. J’ai dû tout recommencer. Pas à zéro : en-dessous ! J’étais très instinctif. Il m’a fallu faire un saut terrible pour me discipliner.

Luisa Branco était une élève d’Arthur de Greef (1862-1940), un disciple de Liszt. Vous a-t-elle transmis quelque chose de son enseignement ?

L’empreinte de la main sur le clavier, le poids du bras, la décontraction, la recherche de la sonorité, les différences de style… Tout cela est passé. La technique de Liszt, elle appelait cela la « technique moderne ». Nous avons exploré un répertoire très vaste : le programme du premier récital que j’ai donné après ma rencontre avec Lucia et Nise débutait avec la Sonate en fa majeur de Mozart, se poursuivait avec Chopin, des œuvres de Villa-Lobos, Guarnieri, et s’achevait avec les trois Danses fantastiques de Chostakovitch. Nous avons travaillé les Sonates de Beethoven, beaucoup de Bach (les Inventions, puis les Préludes et fugues), des études de Moszkowski, puis celles de Chopin, souvent avec des rythmes (jamais de transposition), mais toujours avec des touchers différents : legato, perlé, staccato, portamento… Très lentement tout d’abord, puis en augmentant progressivement jusqu’au tempo. Je me souviens du Vol du bourdon, que j’ai beaucoup étudié à l’époque. J’ai été très chanceux d’être guidé ainsi, directement dans la bonne direction, parce qu’ensuite la technique fait partie de soi, on la garde pour toujours. De mauvais principes, et vous devez ensuite lutter contre vous !

Quelle musique aviez-vous entendu auparavant, à Boa Esperança ?

La musique que nous connaissions était surtout celle des films de l’époque. Je n’avais aucun disque. J’étais le cadet d’une famille de cinq enfants. Une de mes sœurs jouait sur le piano que ma mère avait acheté des boleros et des tangos, un répertoire très spécial. Je l’imitais à l’oreille [N. Freire chante]. Quand j’étais enfant, je demandais, je parlais en chantant, et j’adorais le piano.

A Rio j’ai pu entendre de grands pianistes, comme Solomon, qui utilisait les pédales avec une subtilité ahurissante. Lucia m’a proposé ensuite de participer au premier concours international que la municipalité organisait. J’ai terminé parmi les finalistes, qui avaient beaucoup plus d’expérience que moi. Le président Kubitschek m’offrit alors une bourse, pour me permettre d’étudier où bon me semble.

Ce dut être très douloureux, de quitter alors le Brésil pour l’Autriche, à cet âge

En fait j’ai attendu deux ans avant de me décider. Personnellement je voulais aller à Moscou, à cause de tous ces grands pianistes, mais à l’époque c’était très difficile à cause du communisme. Il a finalement été décidé que j’aille aux Etats-Unis : où, et pour travailler avec qui ? Je ne le savais pas, mais dans l’intervalle Bruno Seidlhofer est venu donner des masterclasses auxquelles je me suis inscrit. Il m’a proposé d’étudier sous sa direction. Vienne avait alors quelque chose de magique pour nous. Nous venions de découvrir Friedrich Gulda, qui faisait sensation sur le continent comme Rubinstein avait soulevé les foules trente ans plus tôt. Gulda était une révélation incomparable. Il était venu ici jouer toutes les Sonates de Beethoven après sa victoire à Genève. En Argentine, il avait un vrai fan-club ! Un très grand pianiste, notre compatriote Jacques Klein [1930-1982], un élève de Lucia Branco, avait lui aussi travaillé à Vienne avec Seidlhofer avant de remporter le Grand Prix au Concours de Genève, en 1953. Bref, Vienne c’était l’endroit où il fallait être. Mes parents ne pouvaient pas m’accompagner. Je suis donc allé seul en Europe, par le même bateau que Seidlhofer. Ça a été terriblement difficile. Le Brésil, c’est un pays qui s’étale à perte de vue, dont la population est unique, en Amérique. A la différence des colons espagnols, les Portugais se sont mêlés aux populations locales, aux Indiens, aux esclaves d’Afrique. Il y a chez nous une variété, une telle masse de particularités… Seule notre langue nous unit : il suffit par exemple de voir ce qui sépare Rio de São Paulo, qui ne sont distantes que de 50 minutes de vol. Ce sont pourtant deux univers différents. Villa-Lobos a très bien traduit tout cela en musique. Et Vienne, cette ville que j’adore aujourd’hui, la Vienne de l’époque était une ville si dure, si marquée encore par la guerre, si peu accueillante. Moi-même je ne sais pas comment j’ai pu tenir, lâché dans la cité. Je suis arrivé une semaine avant la date de mon 15ème anniversaire. Je l’ai fêté tout seul. C’était un dimanche. Les dimanches sont tristes, en général, mais un dimanche, à Vienne, en 1959, vous ne savez pas à quel point ça l’était ! Je n’avais pas encore reçu l’argent de ma bourse, je suis entré au café, j’ai pris une petite table au milieu, ai acheté la tarte la moins chère, et je l’ai mangée, avec mes larmes qui coulaient sur mes joues.
A Vienne je n’ai pas travaillé. Il y avait le problème de la langue, de l’habit, de l’inadaptation. Je n’ai pas profité de Seidlhofer comme j’aurais dû le faire. Je ne supportais pas d’être seul, je cherchais la compagnie des autres, puis j’ai touché tout l’argent de la bourse, en une seule fois ! Je restais dans les cafés jusqu’à leur fermeture, j’allais dans les restaurants, je me déplaçais en taxi… Ce fut une vie de dépression, de bohème, mais de tristesse. Il n’y avait ni fax, ni internet. Je n’ai pas parlé à mes parents pendant deux ans. On ne se servait pas du téléphone avec la facilité d’aujourd’hui. Ma rencontre avec Martha Argerich est en fait la plus belle chose qui me soit arrivée en Europe.

Comment s’est tissé le lien que vous entretenez désormais avec Paris ?

Presque par hasard ! J’avais déjà beaucoup voyagé en Europe, or je n’ai jamais voulu vivre aux Etats-Unis. Je n’ai jamais voulu quitter le Brésil non plus. J’habite toujours à Rio. A un moment donné, Nise a voulu s’installer en Europe, à mes côtés. Nous avions choisi Berlin. Nous nous sommes arrêtés en France, chez Mischa Maisky avec lequel je devais donner des concerts. Puis Nise a fait cette réflexion : son premier mari était allemand, elle était traumatisée par l’Allemagne et ne voulait plus s’y rendre ! J’ai acheté le Figaro, j’ai consulté les petites annonces et trouvé une maison à Chartrettes, en Seine-et-Marne… Nous avons loué une voiture, roulé, roulé, roulé… Arrivés là-bas Nise n’en pouvait plus. Nous nous sommes arrêtés à Chartrettes, avons loué la maison, posé nos valises. C’est ainsi que j’ai pris pied en France.

Vous jouez dans quelques jours au Théâtre du Châtelet. Comment avez-vous choisi votre programme ?

Je donne deux opus 2 : les Papillons de Schumann, la Sonate en fa dièse mineur de Brahms. Ensuite, un groupe Chopin : la Fantaisie op. 49, deux Mazurkas, le 4ème Scherzo, puis trois Préludes de Debussy (Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir, les Collines d’Anacapri, Minstrels), et enfin Alma Brasileira et la danse de l’Indio Branco de Villa-Lobos. J’aime beaucoup cette Sonate de Brahms, j’ai joué la troisième davantage, mais celle-ci renvoie à mes années viennoises. Elle est plus folle, plus schumanienne que la suivante. C’est avec elle que j’ai débuté en Europe, en l’interprétant lors du concert final d’une série de cours d’été que donnait Seidlhofer. Il me paraît bon de lier Debussy et Villa-Lobos, mais vous savez, il m’a fallu une bonne année pour en arriver à ce « menu »-là, comme disait Rubinstein. Je fais le désespoir d’un grand nombre d’organisateurs de concerts – sauf d’André Furno, qui me laisse une liberté totale. Pour moi, c’est un cauchemar, que de devoir planifier mes récitals aussi longtemps à l’avance. Je fais toujours mille changements. C’est difficile de composer un programme : il faut qu’il se tienne sur le papier, il faut qu’il soit agréable à l’oreille, qu’il ait l’air inédit, bien conçu… Je ne suis pas comme certains de mes collègues qui peuvent s’annoncer des mois en amont, et se tenir à ce qu’ils ont décidé. Je pourrais vous informer de mes projets, vous dire ce que j’envisage de jouer dans un avenir proche, mais je ne préfère pas. Il peut se passer tellement d’événements d’ici à ce que je présente ces pièces ! Je ne prépare pas non plus mes bis : ils doivent couler comme de l’eau, surgir spontanément.

Suivez-vous une méthode de travail personnelle particulière, pour préparer un concert, élargir votre répertoire ?

Je ne dirais pas que je suis désorganisé, mais je n’ai pas de système bien établi. Dinu Lipatti était très scientifique, par exemple, dans sa manière de procéder : le matin, il passait trois heures sur telle partition, l’après-midi deux sur telle autre, et ainsi de suite. Ma nature est différente. Je travaille rarement au piano face à la partition. Je monte plutôt les pièces loin du clavier, en étudiant dans ma tête le texte que j’ai mémorisé. Souvent les solutions m’apparaissent ainsi. J’ai souvent eu l’intuition d’un doigté de cette manière. Quand j’étais petit, on m’a fait un cadeau empoisonné. Lucia Branco me prescrivait de trouver moi-même mon doigté, de choisir celui qui me convenait le mieux, ce en réaction à l’attitude des générations précédentes qui considéraient le doigté comme sacro-saint, le prescrivaient d’office aux élèves, et ne toléraient pas que l’on puisse s’en éloigner. De fait, j’ai sous-estimé très longtemps l’importance des doigtés écrits. Ce n’est que dans mon âge déjà très adulte que j’ai commencé à m’apercevoir que ceux j’avais dû découvrir par moi-même, simplement parce que j’avais pris l’habitude de les ignorer, se trouvaient en fait là sous mes yeux. Maintenant je fais très attention. Les doigtés de Chopin sont d’un génie absolu. C’est lui, qui a tout compris au clavier : l’exploitation la meilleure de la main, le secret de la sonorité, le timbre… Debussy a pris sa suite.
Je travaille parfois avec le métronome. Rachmaninov le faisait lui aussi. Je pense que c’est utile pour la mise en place. Un trait paraît souvent difficile parce que l’on ne réalise pas qu’en vérité on presse le mouvement inconsciemment, en le jouant. Le métronome permet d’aplanir le tout.

Guiomar Novaes l’utilisait beaucoup. J’ai une histoire très amusante à son sujet. Un jour, elle faisait des essayages chez un grand couturier brésilien, en vue d’un récital. Pendant qu’elle passait une robe dans la cabine, elle demanda à la personne qui l’accompagnait de sortir de son sac à main le métronome qu’elle emportait toujours avec elle. « Mettez-le à 72 », commanda-t-elle, « je suis en train de travailler dans ma tête cette partie là du concerto de Chopin ! » [rires]. Elle disait qu’enregistrer Chopin était pour elle beaucoup plus difficile qu’enregistrer Mozart ou Beethoven. Au concert, elle prouvait le contraire : elle était totalement à l’aise, elle jouait Chopin merveilleusement, mais elle ajoutait : « Quand on écoute un disque, on ne se rend pas compte, on ne voit pas les mains du pianiste… ». Les siennes étaient d’une souplesse, d’une élasticité… Au point de vue physique, elle restait immobile, mais elle respirait avec les poignets. Ses doigts dansaient un ballet envoûtant. Même si on ne l’avait pas entendue, on aurait pu deviner la beauté de sa pâte sonore rien qu’à contempler la chorégraphie de ses mains. Guiomar Noaves a exercé une influence fondamentale sur moi, dès mon plus jeune âge.


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