le mag du piano

Monique de La Bruchollerie, ou le souvenir français

par Frédéric Gaussin

 

 

… Je me souviens que les quatre phrases inscrites sur les frontons du Palais de Chaillot ont été écrites, spécialement, par Paul Valéry… Je me souviens d’un Anglais manchot qui battait tout le monde au ping-pong à Château-d’Œx… Je me souviens des Trois Evêchés : Metz, Toul et Verdun… Je me souviens des aiguilles en acier, et des aiguilles en bambou, que l’on aiguisait sur un frottoir après chaque disque… Je me souviens des foulards en soie de parachute… Je me souviens des postes à galène… Je me souviens du contentement que j’éprouvais quand, ayant à faire une version latine, je rencontrais dans le Gaffiot une phrase toute traduite… Je me souviens des plaques de mica ou de celluloïd que l’on fixait sur le devant des capots (près du bouchon de radiateur) et qui empêchaient les moustiques et les pucerons de venir s’écraser sur le pare-brise… Je me souviens que les trois danseurs étoiles des Ballets de Paris étaient Roland Petit, Jean Guélis et Jean Babilée… Je me souviens que Saint Crépin et Saint Crépinien sont les patrons des cordonniers… Je me souviens d’un très beau récital donné dans la cathédrale de Chartres (en 1953 ?) par la pianiste Monique de La Bruchollerie…

 

En 1977, l’auteur de La Disparition, Georges Perec, glissait ce touchant souvenir au cœur de son recueil désormais bien connu de fragments. On se plaît à penser que le virtuose des lettres françaises, qui goûtait Art Tatum, Lester Young avec la même oreille fine et sensible que le faux concerto pour hautbois de Cimarosa, et transposa les principes du dodécaphonisme dans le registre poétique, s’enivra du jeu de la virtuose française sous les sculptures de pierre, les vitraux et les croisées d’ogives de la plus fascinante (mathématique, musicale, métaphysique !), de la plus oulipienne des cathédrales gothiques.

 

Dès l’immédiat après-guerre, Bernard Gavoty avait loué la « virtuosité d’emblée parfaite » de Monique de La Bruchollerie (1915-1972), cette « musicienne de grande classe » qu’il situait « au tout premier rang des meilleurs internationaux ». « Monique de La Bruchollerie envisage de l’intérieur les textes qu’elle interprète. Elle les réinvente, elle les tisse comme le ver à soie son cocon ». C’est qu’il y a plus en elle, précisait-il en effet, que ce « miracle d’agilité, de force et de souplesse », « mieux que cette virtuosité sans défaut, si prodigieuse qu’elle en éveille l’incrédulité – ce n’est pas vrai, pensent les bonnes gens… » : il y a la « recréation de l’œuvre », estimait Gavoty. « Dans certains cas, la part d’invention revenant à un interprète d’exception n’est pas loin d’égaler celle de l’auteur : que l’on y réfléchisse avant de crier au scandale. Interpréter ne signifie pas copier, mais recréer à son image personnelle. Or tel est le privilège d’une Monique de La Bruchollerie », concluait la plume du Figaro en omettant toutefois d’ajouter que l’interprète en question n’était point de l’espèce de ceux qu’il nommait ailleurs « des félons, des traîtres à la cause du compositeur ».

 

Artiste à la personnalité captivante, aux vues originales, à l’intelligence aigüe, Monique de La Bruchollerie ne vécut qu’au nom d’une certaine idée de la Beauté. « Quel grand confrère je trouve en vous ! » s’écria Walter Gieseking, l’admirant un jour à Sarrebruck… Propagatrice infatigable, elle manifestait un appétit jamais assouvi de musique et possédait un répertoire colossal qu’elle défendit avec dignité sur tous les continents, fidèle à la devise latine dont sont frappées les armes de sa Maison.

 

Les registres d’Erard ont conservé la trace de son premier instrument d’étude : un piano droit de type n° 5 en palissandre, le modèle demi-oblique de sept octaves, haut d’1 m 25, sans chandeliers de cuivre, « frisé », « ciré », « à cordes croisées » ; ce piano n° 112 152, entré aux ateliers le 31 janvier 1924, que « Monsieur de La Bruchollerie », « 168 rue de Grenelle », reçut le 3 mars suivant pour sa fille « Monique, Adrienne, Marie [Yver] de La Bruchollerie », laquelle n’avait pas tout à fait 9 ans ni intégré encore les classes de solfège du Conservatoire de Paris. Moins de six ans plus tard, sur une belle photographie, un camarade cher appelé lui-même bientôt à la gloire – Nikita Magaloff ! – poserait fièrement à ses côtés pour la postérité, appuyé sur le dos d’un Erard de concert.

 

C’est aux dons d’Emile Guilels, d’Arturo Benedetti Michelangeli, de Yakov Zak, Lance Dossor, Yakov Fliere, Rosa Tamarkina, Witold Malcuzynski, Lelia Gousseau, Moura Lympany, Reine Gianoli, rien de moins, que Monique de La Bruchollerie, fraîche émoulue de l’école, se mesura sans démériter, si tôt, si jeune, lors des épreuves des Concours de Vienne, de Bruxelles et Varsovie.

 

Dotée d’une technique accomplie, surprenant plus encore chez cette femme assez frêle de stature (réalité physique que démentaient son charisme, son autorité souveraine au piano), la disciple d’Isidore Philipp et d’Emile von Sauer méprisait les prétendues prouesses digitales au point de déposer le brevet d’un clavier, incurvé à dessein, qui n’ambitionnait que de réconcilier la mécanique et la morphologie « afin de mieux servir encore », l’auteur autant que le texte. Monique de la Musique, oui : tel est le surnom que « la Belle dame » s’était acquis aux Etats-Unis, où Robert Casadesus, Philippe Entremont eux-mêmes ne connurent pas de débuts plus éclatants. Foudroyée tragiquement en pleine course, à cinquante-et-un ans, dans un accident qui la laissa diplopique et la priva de l’usage de ses mains, Monique de La Bruchollerie devait consacrer les six dernières années de sa courte existence à l’enseignement.

 

« Je ne me souviens pas d’avoir commencé à étudier le piano, pas plus que je ne me souviens du jour où j’ai su que B-A faisait BA », confia-t-elle à la radiodiffusion française.

 

« Je n’aimais pas mon piano, mais j’aimais beaucoup la musique… Mon frère, qui était dominicain, avait dû renoncer à ses vœux pour des raisons de santé. Il ne pouvait supporter le jeûne perpétuel à 16 ans. Il avait eu son bachot à 15, il était un être exceptionnel… En revenant chez nous après avoir quitté son ordre, il me demanda : Que comptes-tu faire ? – Moi ?, lui dis-je, je vais tenter le prix Chopin à Varsovie. [C’était en 1937] – Joue-moi quelque chose, alors ! Je lui jouai donc quelque chose et il me dit : Ecoute, tu vas sûrement avoir une récompense… – Mais si je n’ai rien ? Je n’avais que mon aller-retour, j’avais tout vendu… Et Claude d’insister : Mais si, emmène-moi avec toi !

 

« Nous sommes partis ensemble. Nous avons d’abord couché sur une péniche, à Berlin, sur la Spree. Il y avait du brouillard, nous nous en sommes allés chacun de notre côté, et le lendemain matin nous nous sommes réveillés, moi entourée de garçons, lui entouré de filles car dans ce brouillard nous n’avions pas vu les étiquettes, Damen, Herren ! Nous sommes partis comme cela… A Varsovie, les petites pièces étaient en vérité les plus fortes, sur le plan financier. Je lui disais toujours : Voyons Claude, fais attention ! Pour le pourboire, ne donne pas la ‘petite’ monnaie. Mais lui pensait toujours à autre chose… Il a donné toute notre monnaie, si bien que nous nous sommes nourris de deux sardines et d’un morceau de pain chaque jour.

 

« Arrivée à la finale – j’étais la seule Française – l’Ambassadeur avait organisé un grand dîner… et cela ne vous intéresse peut-être pas, mais nous avions faim. Voici les zakouskis, les hors d’œuvres, et Son Excellence qui avait en face de lui deux personnes qui étaient très gentilles, très correctes (enfin, nous étions bien élevées) les voit se précipiter soudain sur la nourriture, d’une telle façon qu’il s’est exclamé : Mais enfin qu’est-ce qui se passe ?! L’attaché culturel nous a pris à part. Nous lui avons répondu que nous avions faim… Nous avions faim mais pourquoi ? Hé bien, parce que nous n’étions pas envoyés par la France, nous n’avions donc pas de bourse et ne nous étions contentés que de deux sardines par jour et d’un morceau de pain. On nous livra une caisse énorme… Ce pauvre frère charmant, disparu depuis, avait encore sa petite tonsure, son béret basque, l’habit de mon père qui venait de mourir… Et au premier rang, comme cela, oui, c’était vraiment très impressionnant de voir s’abaisser pour moi le drapeau français devant ce jeune homme au premier rang qui était mon frère et qui pleurait. J’ai juré, de ce moment, que je ferai de la musique ».

 

Si Monique de La Bruchollerie mena une carrière exceptionnelle sur la scène vivante, elle enregistra peu, bien que les rééditions nombreuses (Panthéon, Opéra, Baccarola-Auslese, Arabella, Ariola-Eurodisc, Nonesuch, Vega, Michel-Ange !) des mêmes disques donne toujours l’impression du contraire au mélomane non averti. Au total, la pianiste française lègue une poignée de 78 tours [trois His Master’s Voice : DB 21038, DB 6731, DA 1888 ; quatre Pacific / Compagnie Générale du disque : 3720, 6594-6596] ; cinq microsillons VOX, France ou USA, usinés entre 1952 et 1956 [dans les grandes lignes encore : Concerto en si bémol mineur de Tchaïkovski, dir. Rudolf Moralt ; Concerto en si bémol majeur de Brahms, dir. Rolf Reinhardt ; Concertos K. 466 et 488 de Mozart, dir. Heinrich Hollreiser ; Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov et Variations symphoniques de Franck, dir. Ionel Perlea] ; ajoutons un 33 t. Ariola / Eurodisc [Mozart, concertos identiques, dir. Bernhard Paumgartner, 9-12 mars 1961] ; un 17 cm Melodiya enregistré en URSS au printemps 1965 [Sonate en ré majeur de Clementi, Cathédrale engloutie de Debussy] ; et un ultime 33 t. Ariola / Eurodisc comportant le 3ème Concerto de Beethoven, consigné en public à Hambourg le 14 janvier 1966 sous la direction de Janos Ferencsik.

 

Par chance, cependant, Monique de La Bruchollerie fut considérablement enregistrée en concert, à l’instar d’un Sviatoslav Richter ou d’un Sergiu Celibidache, or, succédant aux inédits (1959-1962) présentés par l’INA, il y a dix ans déjà – l’unique structure cohérente et digne d’intérêt longtemps disponible – , succédant aux rares pépites retenues par Naxos dans le cadre de ses anthologies (A to Z of Pianists, Women at the Piano), aux « reports » ô combien discutables d’un indépendant canadien, aux rééditions japonaises, sous étiquette Denon, des concertos de Mozart exécutés avec Paumgartner pour Ariola-Eurodisc, ce coffret que Meloclassic fait paraître aujourd’hui érige enfin, à la mémoire de l’artiste, le monument que son envergure exigeait de longue date.

 

C’est vraiment là « L’Album du centenaire » ! Neuf disques de musique, neuf disques d’inédits, agrémentés du 1er Concerto de Tchaïkovski sur DVD, entièrement filmé à Paris, sans compter quelques surprises de taille… Captations radiophoniques, professionnelles, prestations saisies sur le vif, prises de studio pieusement stockées dans les archives familiales sur les bandes d’origine, d’excellente qualité : l’ensemble, autorisé par Diane de La Bruchollerie, sa fille, documente l’art et la manière de la pianiste française comme aucun autre avant lui sur une période significative de vingt-trois ans (1943-1966).

 

Au programme ? Des œuvres solistes ou concertantes de Mozart, Bach, Beethoven, Brahms, Haydn, Schubert, Schumann, Tchaïkovski, Mendelssohn, Debussy, Franck, Saint-Saëns et Chopin mais aussi de Daquin, Scarlatti, Clementi, Balbastre, Chostakovitch, Rachmaninov, Bartók, Prokofiev, Dutilleux, Vallier, Villa-Lobos, de Falla et Szymanowski, nombre d’entre elles étant inattendues, sinon inconnues sous les doigts de ses confrères et consœurs, ses compatriotes de même génération.

 

Parmi les escales envisagées, on relève les scènes et les salles de Paris [octobre 1950, 4 octobre 1955, Théâtre des Champs-Elysées 17 décembre 1956], Londres [Abbey Road, Studio n° 3, 22 mai 1947], Lausanne [7 mars 1963], Cluj [18 décembre 1966], Bucarest [8 décembre 1966], Karlsruhe [22 novembre 1965], Höchst [2 février 1965], Hamm [19 novembre 1965], Munich [Bayerischer Rundfunk 4 novembre 1950, 17 novembre 1951, 14 décembre 1952, 19 mai 1961, 6 février 1962], Stuttgart [7 mai 1946], Lübeck [21 novembre 1954], Hambourg [Norddeutscher Rundfunk, 28 avril 1956] et Berlin [24 juin 1946, Rundfunk der DDR 16 juin 1948].

 

Pour la première fois, l’amateur se trouve ainsi à même de reconstruire un pan du parcours de Monique de La Bruchollerie, de l’éclosion nationale de ses possibilités à leur affirmation sur le plan mondial.

 

« Ce récital donné à Chartres en 1959, si apte à renverser nos hiérarchies, où brille une Sonate op. 110 de tout premier ordre ! Rigueur des architectures, densité des conceptions orchestrales, intelligence supérieure – pour ne rien dire de ces Funérailles hantées, de ce bouquet de fusées baroques (Galles, Rodriguez, Soler en fa dièse majeur). Enseignant mieux qu’un grimoire le traitement rythmique et vocal qu’exige l’ornementation variée de son écriture, la Berceuse de Chopin déroule sa cantilène avec un soin d’orfèvre sur le placide continuum d’une basse obstinée : rubato de bel-cantiste, pulsation immuable de kapellmeister ». Nous louions en ces termes, en 2014, le précieux document que – déjà ! – Meloclassic avait exhumé.

 

On se régalera aujourd’hui d’entendre le premier disque de Monique de La Bruchollerie, ce Concerto en sol majeur de Beethoven avec cadences de Saint-Saëns, dirigé par André Cluytens à la tête de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire : huit faces de « test-pressing » (uniquement des premières prises !), gravées au Studio Albert le 14 mai 1943 sous l’autorité d’Eugène Ravenet et restées impubliées depuis. On se régalera de son éloquence, d’une empreinte inimitable. On s’émouvra plus encore, sans doute, de l’aspect quasi-prophétique de cette ultime apparition publique – « 110 000 anciens francs pour huit concerts, c’est dire que vraiment, c’était pour prolonger le rayonnement français… » ; de la force de ces notes jouées en bis à Cluj, un soir de décembre, quelques heures à peine avant qu’un choc sur une route montagneuse de Transylvanie n’éloigne à jamais Monique de La Bruchollerie de ses auditoires. Reste ce concerto ébouriffant, interprété là sous la conduite d’un chef illustre placé à la tête d’un orchestre extraordinaire, celui de Charles Munch… Nous n’en dirons pas davantage.

 

On craindrait de troubler le festin en citant l’une de ces critiques récurrentes, d’une goujaterie sans égale, qu’une des figures de la bien-pensance microcosmique parisienne (pourtant un élève de Jacques Février) croyait être en position sinon en devoir, alors, à l’opposé d’un Gavoty, d’un Goléa, d’un Erismann, d’adresser à « la tumultueuse interprète de Rachmaninoff et de Tchaïkowski », à « la plus explosive de nos pianistes » au motif qu’elle menaçait l’existence d’un type bien inoffensif : celui de la charmante jeune fille issue de « l’usine à tierces » d’un contremaître de renom, aux moyens limités, aux ambitions bornées par force, dont « les nuances et les brusques rubati font pâlir d’envie les partisans du style-Chopin le plus décadent » (sic). Cependant si ; de Monique de La Bruchollerie, sachons qu’on put écrire sans honte, sous le mandat d’Auriol, en France, à Paris : « D’ordinaire, pour la musique demandant une certaine gravité, de la concentration et de l’intériorité, je ne suis pas tellement admirateur de cette pianiste assez prestigieuse sans doute, mais qui vous donne l’impression d’une voiture de sport fonctionnant avec un carburant spécial, douée de reprises foudroyantes, munie d’une super-culasse, échappement libre et tout : ce style 20 CV. Ce sont là, évidemment, des qualités appréciables mais qui ne conviennent pas à tous les itinéraires… » (Disques, n° 27-28, 15 octobre 1950 ; n° 55, février-mars 1953). Le triste sire dénonçait plus tard, dans les mêmes colonnes de Disques (si l’on ose dire), la « discographie un peu morose » du Concerto en la majeur de Mozart, annihilant d’un geste, d’un seul trait facile, l’individualité, la probité, la richessse de « Lili Kraus, Germaine Thyssens-Valentin, Monique Haas, Arthur Rubinstein, Walter Gieseking et Clara Haskil » à la fois – « Il n’émerge guère que la version Marcelle Meyer, que nous continuerons de recommander à défaut d’une édition enthousiasmante », osait-il même conclure (n° 80, août-septembre 1956).

 

Soixante ans après, il sera bon de réévaluer sereinement l’héritage artistique de Monique de La Bruchollerie à la lumière neuve de ces douze heures de musique. En la circonstance, sa fille Diane, elle-même une pianiste professionnelle, a livré ce témoignage que nous avons eu plaisir à recueillir.

 

Et c’est elle, à présent, qui pour nous se souvient.

 

 

« Monique de La Bruchollerie, ma mère, aurait eu 100 ans cette année…

 

« Issue d’une famille de musiciens, elle se prénommait Adrienne-Marie en souvenir de son arrière-grand-oncle François-Marie Boieldieu, et son père se trouvait être le cousin du créateur de Pelléas et Mélisande, André Messager. On a peine à réaliser aujourd’hui qu’elle rencontra, petite fille, Maurice Ravel à Lyons-la Forêt : à deux maisons de la sienne, l’auteur du Tombeau de Couperin orchestrait les Tableaux d’une exposition dans la villa de Roland-Manuel, le Fresne.

 

« Ma mère semblait faite pour la musique, pour la transmettre et l’incarner. En son for intérieur, elle estimait qu’un don reçu de la nature engageait son possesseur, et qu’un devoir lui incombait : ce sentiment du Beau que son art lui suggérait, cette connaissance qu’elle en avait acquise, il lui fallait les offrir en partage, à quiconque souhaitait les éprouver par son intermédiaire. Ainsi lui arrivait-il de se prodiguer plusieurs fois par jour – à la répétition matinale, non déjà dénuée de feu, succédant une prestation gratuite donnée dans une usine, une maison d’étudiants, un atelier, ce quelques heures avant que ne débute sa prestation officielle. Son abnégation n’était pas moins grande, lorsqu’il s’agissait d’enseigner ou d’offrir un tremplin aux confrères de la génération montante ! Pour ses élèves du Conservatoire de Paris qui avaient obtenu leur 1er Prix, pour ceux issus d’autres classes ou d’autres disciplines qui lui paraissaient dignes de tenir leurs promesses, elle créa Une Heure avec et Les Grands jeunes au Festival d’Aix-en-Provence. Régis Pasquier, Patrice Fontanarosa, Jean-Jacques Kantorow, Jacques Rouvier… beaucoup eurent la chance de faire, grâce à elle, leurs premiers pas dans le métier.

 

« La personnalité de Monique de La Bruchollerie lui avait acquis l’affection et l’estime de figures très diverses : Ginette Neveu, la partenaire très aimée de sa jeunesse, Zoltán Kodály, Wilhelm Kempff, Rainer Biemel, Mary Marquet, Nikita Magaloff (son camarade de classe), Maurice Escande, Tatiana Rachmaninov, Wladimir Siegfried ou Géori Boué. A ces noms s’ajoutent ceux de Serge Lifar, Jacques Charon, Suzy Solidor, Suzy Delair, Viviane Romance et Sacha Guitry. Par égards pour Samson François, par exemple, elle refusa de jouer les concertos de Ravel : « Ses dons en ont la prérogative », disait-elle. Elle fut aussi très proche de Charles Münch, qui avait veillé sur ses débuts et dont elle garda cette devise : La musique doit passer, à travers nous, de la confidence d’une âme à sa confession.

 

« A l’intelligence pragmatique de cette femme d’action, le quintuple forte de la Toccata de Prokofiev inspira les plans d’un clavier incurvé, respectueux de l’anatomie humaine, à la tessiture étendue dans le grave et dans l’aigu. Sous les pédales de cet instrument révolutionnaire, une barre transversale actionnait un système de huitièmes de tons. Ma mère entrevoyait également l’éventualité d’un « cerveau électronique » qui, un jour, générerait un ensemble de sons. Le prototype souleva l’enthousiasme de Pierre Boulez, sans toutefois qu’aucun facteur français ne se risque à le commercialiser, en dépit des brevets déposés...

 

« L’un des aspects les plus remarquables de la carrière de Monique de La Bruchollerie reste que celle-ci aura été menée d’emblée à l’échelle internationale, et sans jamais fléchir, quand l’on sait à quel point il était difficile aux élèves issus du Conservatoire de Paris, et aux jeunes femmes plus encore, de se faire connaître puis de s’imposer sur le seul territoire national, où les talents pianistiques ne manquaient pas dans l’entre-deux-guerres. Entamé en Belgique en 1935 (en tant que « déléguée officielle de la République Française »), le périple de ma mère s’interrompit le 18 décembre 1966, d’une manière tragique, en Roumanie. Survenu en plein hiver sur le trajet de Cluj à Timisoara, un accident la priva de l’usage de ses mains à l’âge de 51 ans.

 

« Durant les 33 ans que dura son activité de concertiste, Monique de La Bruchollerie se fit acclamer plus de 1400 fois dans les salles prestigieuses des deux hémisphères – en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique du Nord, au Canada, en URSS et dans ses pays satellites, au Japon, aux Etats-Unis, en Océanie – seule, ou au sein des meilleures phalanges. Combien de pianistes de son temps, a fortiori parmi ses compatriotes, ont-ils été, comme elle, les solistes du London Symphony Orchestra, de l’Orchestre de la NHK, des philharmonies de Leningrad et de Moscou, du Boston Symphony, du New York Philharmonic, du Chicago Symphony, de l’Orchestre de Philadelphie ? Combien ont, comme elle, joué près d’une quinzaine de fois à l’invitation du Berliner Philharmoniker en l’espace seulement de quatre saisons ? A Boston, Ernest Ansermet la lança en programmant deux soirées concertantes (14, 15 décembre 1951). A l’affiche, figurait le 3ème Concerto de Rachmaninov, œuvre fétiche de Vladimir Horowitz qui ne s’était pas encore retiré de la scène… Le 13 février 1952, le même Ansermet offrit à ma mère sa première apparition new yorkaise, qu’elle fit suivre, dix jours après, d’un récital à Carnegie Hall. Moins de deux semaines plus tard, George Szell (qui ne fut ni toujours aimable avec elle, ni très élégant…) la dirigeait lui-même à trois reprises, dans la même salle, à la tête de la Philharmonie de New York, puis elle donna un autre concert en solo à Carnegie Hall. Avec un grand plaisir, elle rejoua le Concerto de Tchaïkovsky le 7 juillet 1953, au Lewisohn Stadium, sous la baguette admirable de son compatriote Pierre Monteux.

 

« La liste des chefs d’orchestre l’ayant accompagnée est éloquente : Charles Münch (qui l’engagea dès 1941 avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. Son contrat d’exclusivité stipulait qu’elle donnerait trois concertos différents par soir, plusieurs fois chaque saison), Maurice Hewitt (1943), André Cluytens, Sergiu Celibidache (1946), Albert Wolff, Charles Brück (1947), Roger Désormière, George Georgescu, Paul Paray, Leopold Ludwig (1948), Hans Rosbaud (1949), Karl Elmendorff, Adrian Boult (1950), Eugen Jochum, Paul van Kempen, Pierre Dervaux (1951), Rudolf Moralt, George Szell, Jean Fournet (1952), Louis Fourestier, Antal Dorati (1953), Otto Klemperer, Hans Schmidt-Isserstedt (1956), Ernst Bour, Janos Ferencsik (1957), Christoph von Dohnanyi, Bernhard Paumgartner (1961), Bernard Haitink (1962), Serge Baudo (1964), Michel Plasson (1966), Ionel Perlea, Hiroyuki Iwaki…

 

« Portée par la musique, ma mère ne cessa de répondre à l’invitation de pays dont elle affectionnait les peuples soumis par le totalitarisme ou l’idéologie. Accomplis lors des phases les plus cruciales de la guerre froide, ses voyages furent émaillés de pressions politiques dont elle nous régala de récits savoureux. Dans les pays du bloc de l’Est, par exemple, elle se savait non seulement épiée dans ses conversations, à l’hôtel ou au cours des réceptions (en parlant, elle chiffonnait du papier de soie !), mais des « inconnus » en impers et chapeaux mous la suivaient aussi à chacun de ses déplacements. Bien des fois, d’ailleurs, à pied, elle prit un malin plaisir à semer les « ombres », ces pisteurs sans visage à la solde du KGB. De retour à la maison, elle semblait si fière d’avoir joué un bon tour aux services secrets ! Derrière le rideau de fer, il n’était pas rare qu’elle attende des heures dans les hangars frigorifiés des aéroports, au risque de contracter des engelures, qu’elle se soumette, au détriment de ses répétitions, à d’interminables fouilles aux postes de douane ou qu’elle trouve ses effets personnels « bien rangés » dans ses bagages en rentrant du concert… Les Tupolev mal pressurisés de l’époque lui causaient chaque fois des otites, une grosse part de ses cachets était préemptée d’office, mais elle savait à quoi elle s’exposait. Ses partitions, en outre, étaient examinées par des experts en cryptographie persuadés que ses doigtés recelaient quelque message codé d’une importance géopolitique capitale, à tel point qu’on les lui déroba toutes un jour, à Johannesburg, en 1960 ! Nous n’eûmes pas d’autre choix que de lui faire envoyer un jeu complet de partitions neuves par la valise diplomatique, en urgence.

 

« Sa famille ne vivait pas sans inquiétude ces aventures à l’autre du bout du monde. A Saïgon, pendant la Guerre du Viêt-Nam, ma mère se confronta un jour à un clavier saturé d’humidité, dans une salle comble bordée de sacs de sable et gardée par des soldats en arme – une violence palpable encore supérieure à celle des tempêtes tropicales qu’elle avait essuyées au cours des longs vol de l’aller. A New York, la C.I.A, très au fait de son agenda, lui soumit surtout ce chantage : ou bien elle persistait à effectuer des tournées dans les contrées « malades du cancer communiste », ou bien elle choisissait le « Monde libre » qui offrait de la propulser rapidement vers la gloire en la débarrassant des soucis matériels. L’offre avait l’air tentante, mais Monique de La Bruchollerie n’était pas artiste à se laisser dicter sa conduite... C’est à elle, après l’insurrection d’octobre 1956, que les Hongrois demandèrent de ré-ouvrir la saison musicale dans leur pays meurtri. Ma mère s’était produite à Budapest en 1948. En janvier 1957, son concert fut le premier rassemblement de plus de quatre personnes qu’autorisa le régime. Pendant vingt minutes, les spectateurs, debout, l’acclamèrent sans qu’elle ne puisse toucher une seule note. Craignant un débordement, les musiciens de l’orchestre avaient placé son piano au milieu d’eux pour faire corps et la protéger. Ce soir-là, elle ne donna pas moins de huit bis. A peine s’était-elle retirée derrière le rideau de scène, que la police politique la soumit à un interrogatoire serré, la sommant de prendre position pour ou contre la Révolution. « Je défends la Musique ! » fut sa réponse. Après cette date, ma mère ne fut plus jamais admise à jouer aux Etats-Unis…

 

« L’Allemagne, en définitive, est le pays où elle se sera fait entendre avec le plus de joie, et le plus grand nombre de fois : près de 400 entre mars 1946 et l’automne 1966, de Münich à Hambourg, de Cologne à Berlin. Elle dont le frère chéri était tombé pendant la bataille des Vosges, en 1944, avait accepté d’être la première artiste étrangère invitée à paraître outre-Rhin après la fin des hostilités. Elle en était reconnaissante au peuple allemand. Elle était touchée, aussi, d’avoir été reçue si chaleureusement à Dresde et Leipzig, deux cités au passé prestigieux, sièges des plus vénérables institutions musicales du vieux continent.

 

« Cette femme élégante et, somme toute, assez menue, possédait un répertoire important : 300 œuvres couvrant la littérature de Rameau à Dutilleux, en plus d’une vingtaine de concertos – Bach, Haydn, Mozart, Chopin, Liszt, Schumann, Saint-Saëns, mais surtout Beethoven (n° 3, 4, 5), Brahms (n° 2), Rachmaninov (n° 3, Rhapsodie sur un thème de Paganini) et Tchaïkovski (n° 1), autrement plus exigeants sur le plan physique et de fait, rarement inscrits sur les programmes de ses consœurs.

 

« Elle se sentait proche de l’esprit volontiers moqueur ou primesautier de Mozart, auquel s’accordait son caractère frondeur, inventif et enjoué. Elle admirait sa liberté et s’éblouissait de la manière dont il joignait le badinage au drame, le profond au léger. Elle aimait Beethoven pour sa puissance et l’entrelacs savant de ses architectures ; Schumann, pour ses folies ; les compositeurs français, pour leurs clartés ou leurs indéfinis. Elle prisait le lyrisme des Slaves, et Chopin fut son auteur de prédilection, celui dont elle possédait presque tous les opus et qu’elle joua le plus souvent.

 

« Riche, inventif, son piano était fait d’impressions et de fulgurances : une vie singulière comme animée de vies plurielles. De nombreuses voix, solistes ou secondaires, y tissent toujours entre elles, parfois au cœur d’une seule main, un réseau fin de « répons » où la priorité s’affirme, puis se récuse au profit d’autres lignes que la volonté visionnaire de l’interprète choisit de rendre tour à tour évidentes : de nouveaux mondes percent là soudain, sous la pâte, ou prennent ici leur revanche, brodés sur une trame harmonique familière. Ma mère pensait à juste titre qu’il convenait de nourrir son art par la culture et l’imagination. Pour cette ancienne élève de l’Ecole du Louvre, curieuse par nature, le regard longtemps soutenu sur le trait, les aplats, les pigments du peintre, la matière sculpturale, se reportait inconsciemment sur le phrasé. L’architecture, l’équilibre des formes l’attiraient comme l’histoire, la philosophie, le théâtre, la littérature et la poésie – Aristote, Platon (que son père lisait dans le texte), Shakespeare, Racine et Corneille dont elle goûtait le rythme, Beaumarchais pour sa faconde, sa liberté d’expression, Montesquieu et Lamartine. Elle admirait les Stances et pouvait déclamer les Nuits de Musset, ses affinités avec la scène l’ayant conduite à fréquenter Pierre Bertin, Madeleine Robinson, Jean Marchat, Jacqueline Delubac, Claude Nollier, Marie Bell, Gisèle Casadesus, Lucien Pascal et Julien Bertheau. Avivé par toutes ces correspondances, son jeu était plein d’implications subtiles, d’humeur et de caractère : mystère des basses appuyées, burlesque de piqués rieurs et légers, poids des silences et des respirations, variété des pédales – impressionnistes, cymbalées, sèches ou diffuses – chargées d’éclairer le discours.

 

« En réécoutant ces bandes, je me suis émerveillée de constater, d’un morceau l’autre, ses propres métamorphoses. Ma mère était de l’espèce des interprètes-recréateurs : jamais ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, sa conception globale d’un chef d’œuvre, décuplée par l’adrénaline du concert, l’inspiration du moment, était de celles qui pouvaient entraîner l’auditeur, chaque soir, vers autant de nouvelles évidences. Sous ses doigts pourtant, c’est bien le compositeur, qui affirme d’abord son identité. Son art ne s’entendait pas sans racines, et sa conscience très élevée du langage musical dépouillait ses lectures de toute ambiguïté. Eugen Jochum a dit ainsi de Monique de La Bruchollerie « qu’elle était musicienne corps et âme. Son piano n’était pas seulement lucide et limpide : il reflétait sa fidélité profonde aux volontés sacrées des Maîtres ». En voici un exemple.

 

« Entre 1946 et 1948, à de nombreuses reprises, Henri Dutilleux remania sa Sonate, la seule qu’il destina au piano. Si Geneviève Joy, son épouse, se chargea d’en assurer la création, ma mère en fut l’une des premières ambassadrices. Durant tout le processus d’élaboration, le Maître, qui était constamment en quête de sa propre vérité, lui adressait des corrections sous la forme de photocopies, de manuscrits raturés. Ma mère, chaque fois, les reprenait avec conscience. Et c’est ainsi que, fidèle à ces feuillets que le compositeur devait encore retoucher plus tard pour son édition imprimée (Durand), ainsi que Monique de La Bruchollerie révéla une première mouture de la Sonate, disparue désormais, dès octobre 1949 à Berlin et dans une dizaine de ville allemandes, puis à Belgrade, Ljubjana, Zagreb, Paris, Madrid ainsi qu’en Amérique latine. Un demi-siècle plus tard, en 2005, Dutilleux entendit l’enregistrement d’un récital que ma mère avait donné au Théâtre des Champs-Elysées. La bande avait conservé le souvenir de cet état primitif de sa Sonate, et je me souviens de l’étonnement qui fut le sien lorsqu’il surprit, tout à coup, des notes qu’il avait biffées, qui n’existaient plus pour lui. Avec quel plaisir, quelle curiosité le compositeur redécouvrait-il ce qu’il avait amendé ! Ce moment émouvant jette une lumière neuve sur l’œuvre, sur son élaboration et son interprétation. « Comme artiste », m’écrivit-il après, « Monique de La Bruchollerie avait le pouvoir extrême d’imposer sa vision intérieure, une vision infiniment personnelle, des œuvres qu’elle recréait sans les trahir mais en les repensant totalement, qualité qui fait le génie de l’interprète. Assurément, elle fut une très grande interprète ». Celle-ci, je pense, eût été très honorée de lire ces mots qui lui correspondaient. J’ajoute qu’elle prenait la Sonate au tempo initial, de 108 à la blanche. Geneviève Joy adopte un mouvement de 120.

 

« Interrogeant les textes sans relâche, ma mère couvrait ses partitions de réflexions et d’indications qu’elle lisait et photographiait sans cesse, pour se remémorer, se concentrer. Ses doigtés, qui n’étaient pas les plus aisés, mais les plus cohérents, dénotaient une perception du clavier qui allait au-delà de la répartition habituellement pratiquée entre les mains, au-delà des réflexes et de l’enseignement courants. Sa rigueur de travail était extrême, qui se doublait d’une dureté implacable envers elle-même. L’oreille aux aguets, elle cherchait dans l’œuvre le secret de sa pulsation naturelle. Ce travail de bénédictin, toujours recommencé, l’amenait à se forger un cadre dans lequel évoluer plutôt qu’une vision qui d’avance, serait déterminée. Rien ne lui plaisait davantage que cet esprit de création immédiate et d’improvisation qui naît de la libération des facultés : elle puisait des forces dans son propre jeu, l’interprétation était pour elle un processus vivant, dynamique, qui engendrait sa suite en fonction de ce qu’il venait d’énoncer, et à mesure qu’elle avançait. Cependant, elle ne se laissait jamais dominer par son instinct, et si ses longs doigts semblaient quelquefois se griser de leur propre vélocité, elle n’en contrôlait pas moins chaque note, chaque nuance et chaque geste jusqu’aux limites de la probité. Je ne crois pas, non, que l’on puisse reprocher à ma mère d’avoir eu un jeu vain, racoleur ou visant à l’effet. Elle était une artiste intègre, authentique, qui s’enquérait de plus volontiers d’un avis extérieur. Alors qu’elle était au sommet de ses facultés, je me rappelle l’avoir entendue demander à ma grand-mère (elle-même ancienne répétitrice des élèves d’Yves Nat et d’Isidore Philipp) son sentiment sur un passage du Concerto en si bémol de Brahms, puis suivre ses recommandations sur la scène, quelques minutes plus tard, en toute humilité…

 

« Sur le plan technique, on commettrait une erreur en inscrivant Monique de La Bruchollerie dans le sillage de telle ancienne école française, contemporaine de son apprentissage du piano. Car ma mère ne pratiquait pas le seul jeu d’articulation, ce jeu du bout des doigts qu’enseignait Marguerite Long. Isidore Philipp, dès le Conservatoire, l’avait incitée à rechercher un son moins blanc, mieux timbré. Après le Concours de Vienne, elle s’était perfectionnée sous la direction de Paul de Cône (fils naturel d’Anton Rubinstein et d’une comtesse française), et d’Emile von Sauer, le célèbre disciple de Liszt. Elle louait beaucoup le résultat auquel parvenait la pédagogie (mais non la psychologie !) de l’école russe. Auprès d’Emile Guilels, qui avait été son compétiteur à Bruxelles, en 1938, lors du Concours Ysaÿe, et dont elle fut sa vie entière l’admirative et fidèle amie, elle se conforta dans la certitude qu’il convient, certes, de conformer son toucher aux exigences du contexte et du style, mais aussi qu’une sonorité ample et ronde sollicitant toutes les harmoniques, toutes les ressources de l’instrument ne s’obtient qu’en communiquant le poids du corps aux relais des bras et des mains.

 

« Le monde musical a peu souvent évoqué le souvenir de ma mère après sa mort, sans doute parce qu’elle était réticente à l’idée de graver des disques. « C’est un jeu de dupes », pensait-elle… elle qui ne se reconnaissait pas dans la « vérité » de cet instantané figé pour l’éternité. Si une part importante de son héritage musical est aujourd’hui perdue (inexploitable ou détruite), par chance, de nombreuses bandes radiophoniques et surtout, plusieurs prises saisies sur le vif par une amie chère, Dorothée Jourdan, nous autorisent aujourd’hui à l’entendre à nouveau.

 

« A Michaël Waiblinger et Meloclassic, j’aimerais exprimer ma très vive reconnaissance. Je suis heureuse d’avoir la possibilité de révéler ces enregistrements qui attestent l’engagement d’une musicienne qui vivait pour la lumière du concert et s’y livrait sans retenue. Avec beaucoup d’émotion, je vous confie aussi le témoignage de son ultime apparition sur la scène. Il demeure frappant, sinon symbolique ou prémonitoire de songer, pour qui la connut, que ce dernier bis joué à Cluj, le 18 décembre 1966, fut l’œuvre d’un Français, la Cathédrale engloutie de Claude Debussy ».

 

 

Diane de La Bruchollerie

 

 

Meloclassic MC 1034 « Monique de La Bruchollerie 100th Anniversary Edition ». 9 CD. 1 DVD


haut de page