le mag du piano


les Technische Studien, chemin vers la technique de Liszt ?

[1]

par Bruno Moysan

 

Publié le 12/10/2012

a technique d’un virtuose est un système complexe qui met en jeu un nombre important d’éléments en situation d’interrelations et qu’il faut inventorier, relier, hiérarchiser. La technique de Liszt reste encore, à ce jour, bien mystérieuse. Très rapidement, dès les années 1830, Liszt se place au premier rang des virtuoses au point qu’il finit même par dominer son siècle voire même l’histoire du piano. Disons-le d’emblée, la technique de Liszt est un objet fuyant et ce au moins pour quatre raisons. Liszt a d’abord très peu parlé de technique de piano stricto sensu. Les témoignages de Bülow[2] ou de Rosenthal[3], pour ne citer que ceux des élèves de Liszt ayant le plus côtoyé le maître, sont formels là-dessus : Liszt dans ses leçons n’abordait que très peu l’aspect mécanique et physique du rapport de la main avec le clavier. Ensuite, Liszt n’a laissé que peu de littérature strictement pédagogique en dehors des volumineux, et passionnants, volumes d’Études techniques (Technische Studien) dont il sera question plus loin. Enfin, l’écriture pianistique de Liszt est tellement protéiforme, notamment lorsqu’on songe aux nombreuses transcriptions qui ont jalonné sa carrière, qu’il est assez difficile de déduire de l’écriture idiomatique de Liszt compositeur-virtuose les grandes lignes du rapport au clavier de Liszt virtuose-compositeur.

 

À ces questions ou incertitudes, il convient d’ajouter ce qui a trait au rôle des conditions matérielles dans l’invention. Celles-ci ont indéniablement leur rôle. Sans doute faut-il tenir compte du rôle de la facture d’Erard dans la constitution de la technique de Liszt : double-échappement bien sûr mais aussi robustesse de la mécanique Erard, sans oublier la force, le brillant, la lisibilité et l’ampleur de la sonorité des pianos de la rue du Mail, l’égalité de leurs registres[4]. En même temps, déduire la technique de Liszt de la facture de ses pianos serait sans doute analyser la réalité avec la grille de lecture réductrice d’un post-marxisme un peu univoque qui ne voudrait voir dans les œuvres de l’esprit que la superstructure culturelle d’une infrastructure purement matérielle faite de leviers, d’échappements doubles et de rapports socio-économiques. En se situant dans une perspective exactement opposée, celle du spiritualisme hégélien renversé par Marx, il serait sans doute aussi possible, et caricatural, de ne voir dans la technique de Liszt que le produit du nouveau cahier des charges expressifs imposé par les couleurs de la Symphonie fantastique de Berlioz ou le violon diabolique de Paganini.

 

L’art du clavier selon Liszt[5] a été défriché, et déchiffré, par Bertrand Ott durant les années 1970-1980. Celui-ci fait à ce titre véritablement figure de pionnier. C’est à lui que l’on doit d’avoir mis à disposition de la musicologie lisztienne les principaux éléments de bibliographie sur le sujet et les principales sources. C’est à lui aussi que l’on doit le premier coup de projecteur sur la réalité du geste lisztien et un premier recensement des nombreux élèves de Liszt. La présente contribution ne portera que sur les deux premiers livres des Technische Studien, pages 1 à 76 de l’édition Mesö de 1983. Il s’agira, à partir de l’étude des 12 premiers exercices (76 pages tout de même), d’aller à la recherche de Liszt au clavier. Cette contribution ne saurait en aucune manière se substituer au magnifique Liszt et la Pédagogie du piano, Essai sur l’art du clavier selon Liszt de Bertrand Ott dans la filiation, modeste mais critique, duquel elle se situe. Elle n’a pas pour ambition non plus de proposer une discussion de cet ouvrage, celui-ci est trop riche et prête trop à discussion pour qu’un seul article suffise, ni de faire le point sur la question, trop d’éléments restent encore incertains, mais plutôt de proposer quelques hypothèses en vue de travaux ultérieurs plus développés.

 

Position du problème: innover dans la continuité

 

Ces volumes d’exercices purs que sont les Technische Studien ont été publiés en 1886, mais seulement après la mort de Liszt et sous la responsabilité d’Alexandre Wintenberger (1834-1914). Ces 57 exercices ont été réédités par Editio Musica Budapest en 1983, augmentées des 12 gro?e Etüden données perdues pendant près de cent ans, avec un appareil critique d’Imre Mezö. L’histoire détaillée de ces 68 exercices[6], et en particulier, celle, rocambolesque, des 12 gro?e Etüden qui constituent le troisième volume de l’édition hongroise de 1983, est retracée avec beaucoup de précision par Imre Mezö. On y apprend notamment que le 24 août 1868, Liszt écrit à la princesse Sayn-Wittgenstein : « Depuis 3 jours, je me suis mis à écrire des exercices techniques du pianiste. Cette besogne m’occupera 5 ou 6 semaines. »[7] Un certains nombres d’éléments détaillés avec précision par Mezö semblent indiquer que les 68 exercices étaient achevés en 1871. Nous ne nous attarderons pas plus sur l’histoire du texte, qui a bien évidemment son importance, pour nous concentrer sur son contenu.


Les Technische Studien condensent admirablement le rapport de Liszt au clavier. Ces volumes d’exercices purement techniques ont été parfois mal jugés, la plupart du temps en raison d’une lecture progressisante fallacieuse[8]. Comment un esprit aussi peu conventionnel que Liszt en matière d’écriture instrumentale aurait-il pu rédiger un ouvrage qui tranchait si peu avec les volumes d’exercices de son temps, à commencer par ceux de Czerny ? Juger les Technische Studien de cette façon, c’est passer à côté d’une rupture profonde qui, il faut bien le dire, n’apparaît pas d’emblée. Si l’on resitue les Technische Studien dans un contexte plus vaste, on mesure mieux ce qui sépare la logique profonde de Liszt de celle de ses prédécesseurs Hummel par exemple ou encore Moschelès et Fétis. La littérature didactique du clavier, et la chose est valable aussi pour les autres instruments, est structurée par une tension entre le langage et le mécanisme sachant que le mécanisme est lui-même structuré par une tension entre la main et la structure physique de l’instrument. La nature du mélange, toujours instable, propre à chaque méthode, exercice, Art de toucher…, révèle la façon dont langage et mécanismes sont hiérarchisés l’un par rapport à l’autre. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, la Méthode de Hummel reste proche de la démarche des méthodes du XVIIIe siècle comme l’Art de toucher le clavecin de Couperin ou l’Essai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier de Carl Philip Emmanuel Bach, qui soumettent la question du mécanisme, et avec elle celle du doigté et de l’ornementation, aux exigences de l’art de bien chanter, de bien « dire » et, bien sûr, de bien accompagner et improviser. Dans la perspective du XVIIIe siècle, il s’agit avant tout de rendre concret un possible syntaxique, un possible musical de l’ordre de la composition le plus souvent dans un contexte d’improvisation ou de réalisation de continuo, de proposer les meilleures solutions, la meilleure boite à outils, adaptées à l’instrument mais avec comme horizon l’acte de composition et non celui du perfectionnement strictement mécanique. Le projet de Liszt se situe aux antipodes de celui du XVIIIe siècle. Ce qui l’intéresse avant tout est la relation de la main avec le clavier et non une problématique qu’on pourrait résumer sous la forme : « Comment bien inventer et exécuter telle ou telle syntaxe musicale au moyen d’une main sur un clavier ». Avec les Technische Studien, la didactique du clavier bascule radicalement du côté du geste en soi, du geste pur. C’est en particulier parce que Liszt est parti de formules et d’exercices qui existaient avant lui, les fameux exercices de Schmitt par exemple[9] ou encore l’exercice de transmission conjointe issu, selon toute vraisemblance, de la Méthode de Kalkbrenner[10], qu’il a pu donner l’impression à certains commentateurs de n’avoir rien inventé de nouveau. C’est passer à côté du fait que la nouveauté de Liszt ne se situe pas du côté de la nature des exercices, encore qu’il y en ait de nouveau, mais de la radicalité de conception selon laquelle ils sont traités. Le principe de Liszt est de développer au maximum du champ des possibles les gestes élémentaires du langage pianistique.

 

Les deux gestes élémentaires : le mouvement de levier et le mouvement de bascule

 

Le mouvement de levier

 


Le premier exercice du premier livre est extrêmement développé. Il est consacré au mouvement de levier. Liszt reprend l’exercice dit « des cinq doigts » immortalisé par Aloys Schmitt. Il en revendique d’ailleurs clairement la filiation : « Aloïs Schmitt découvrit les exercices d’attaque du doigt que je développe jusqu’à la 7ème. Field mettait une pièce d’un thaler sur chaque main et jouait ainsi avec une main tout à fait calme[11] ». Si l’on compare cependant ce premier exercice avec celui de Schmitt on constate que Liszt en radicalise la portée en augmentant considérablement ses dimensions et en en sophistiquant l’application. Là où Schmitt se contente d’une formule de répétition simple en double-croches répétées, Liszt crée un véritable parcours de nuances du pp au ff associé à un ensemble de formules rythmiques toujours différentes, soigneusement graduées, qui obligent la main et le cerveau à un contrôle subtil et précis du mouvement. Liszt ne donne malheureusement que très peu d’indications sur la façon d’exécuter ce premier exercice. Il n’écrit en toute et pour toute indication d’exécution qu’une recommandation générale concernant, sans plus de précisions, les « premiers exercices » : « Il sera utile d’exercer à la fois les doigts, l’oreille et l’intelligence, et d’étudier simultanément avec le mécanisme, la dynamique et le rythme, inhérents à la musique. En conséquence, il faudra travailler ces premiers exercices à tous les degrés de la vibration du son, crescendo, du pianissimo au fortissimo, et diminuendo, du fortissimo au pianissimo[12] ».

 

L’arpeggiando pp qui ouvre le premier exercice est pourtant chargé de significations. Il induit en effet un mouvement souple conduisant à alléger au maximum le poids de la main quasiment jusqu’à la main morte. Ce mouvement n’est pas sans susciter quelques interrogations. Effectué par une main peu entraînée, il a pour caractéristique de cumuler deux défauts : une inégalité d’attaque où chacun des cinq doits ne se situe pas au même niveau d’enfoncement dans le clavier et une inégalité de son, conséquence du poids propre à chaque doigt. C’est oublier qu’il a pour contexte une main au contraire surentraînée, au moins à terme, par le travail rigoureux dont témoignent les 50 pages d’exercices de cinq doigts du premier livre. La conquête de l’égalité de poids et de son d’une part et d’osmose du geste d’enfoncé-relevé du doigt avec le mouvement de levier du marteau d’autre part a pour conséquence un posé très subtil de la main. Dans le cas d’une mécanique à échappement double de type Érard, la main ne se pose ni sur les touches, celles-ci relevées, ni, selon la prescription de Czerny, « près de [l]a touche sans cependant l’atteindre »[13], dans la mesure où le mouvement demandé par Liszt a pour conséquence nécessaire un enfoncement legato, mais qui ne peut aller totalement au fond du clavier, lourdement sur la table, les touches totalement enfoncées, dans la mesure où le pianissimo et l’absence de poids proscrivent toute forme de lourdeur et de pesanteur. Sans doute se pose-t-elle subtilement au niveau du cran de l’échappement, légèrement stabilisée par celui-ci ? Dans le cas d’une mécanique à échappement simple, le mouvement lisztien a sans doute pour conséquence un posé presque en apesanteur au niveau de la table puisqu’on ne peut pas s’arrêter au milieu. Si nous mettons cet élément en relation avec d’une part quelques un des constats faits par madame Boissier (« Il ne les [i.e. les doigts de Liszt] tient pas arrondis [...]. Ils ne sont pas non plus tout à fait plats, mais ils sont si flexibles qu’ils n’ont pas de position fixe. Ils saisissent la note de toute manière. Mais jamais avec roideur et sécheresse »[14], « ses doigts n’ont pas d’os, ni de nerfs, ce sont des pattes molles même dans les plus grands forte »[15] et « ses doigts n’ont ni position, ni forme. Ils se ploient mous et souples dans tous les sens, ils trainent d’une touche à l’autre, sont étendus, couchés »[16]) et d’autre part avec cette notation issue de la Grande Fantaisie de bravura sur La Clochette de Paganini concernant le mouvement 5-4-3-2-1 legato (« jeter la main avec souplesse »)[17], sans doute tenons-nous un élément essentiel, quoique difficile à prouver totalement, du rapport de Liszt au clavier. Il est probable que le point de stabilité permettant le contrôle du mouvement ne soit pas un point fixe, la table, la surface de la touche, voire même le cran de l’échappement mais dans le... mouvement lui-même, d’où la main molle de Liszt, mollesse qui est évidemment une fausse mollesse, et ce sous la forme d’un accompagnement par le doigt du mouvement de levier du marteau aux différents stades de son enfoncement. Le doigt, à partir du moment où il entre en adhérence avec la surface de la touche, fait corps avec elle unissant en un même mouvement homogène, modulable en fonction de la vitesse et de la nuance, le trajet d’enfoncement et de relevé du doigt avec celui de levier du marteau[18].

Franz Liszt


Ce posé subtil et léger des cinq doigts de la main dans un contexte d’enfoncement relatif pp n’est donc pas statique, bloqué sur une nuance unique, un mouvement identique, mécaniquement répété et un trajet énergétique univoque. Il est conçu comme évolutif et là réside sans doute l’intuition profonde de Liszt et qui suffit à classer à part les Technische Studien dans la littérature pédagogique, dans la mesure où il est, en quelque sorte, mis en évolution dès la deuxième mesure par un crescendo et dès la troisième par un savant système de variantes rythmiques qui aboutissent (mesure 9) à un fortissimo, sur les rythmes croche-pointée double deux croches, avec comme conséquence la main fortement appuyée sur la table dans un mouvement puissant. La deuxième partie de cette séquence de 18 mesures retourne au pp, à la main en apesanteur et aux doubles croches régulières, celles-ci étant subtilement accentuées par groupes de 4.

 

Un mot sur le tempo. Liszt ne précise pas de tempo mais il est clair que quand il recommande de « travailler ces premiers exercices à tous les degrés de la vibration du son crescendo, du pianissimo au fortissimo, et diminuendo, du fortissimo au pianissimo », il sous entend aussi une maîtrise de l’exercice à différents tempi, ce qui suppose aussi une maîtrise de la réactivité nerveuse induite dans le geste avec toutes les conséquences vibratoires, énergétiques et musicales que cela comporte depuis la solennité du largo jusqu’a la nervosité diabolique, électrique, du presto.

 

Le mouvement de bascule


Dès la section en sol mineur, à la mesure 91, Liszt s’attaque à un deuxième geste tout aussi élémentaire que le mouvement de levier : le mouvement de bascule d’une touche à l’autre. L’enjeu est la transmission du mouvement d’une touche à l’autre. Comme nous sommes toujours dans le cadre d’un exercice de cinq doigts, Liszt va explorer tous les cas de figure possibles mais en restant dans un cadre d’enchaînements conjoints. Le principe est d’élargir le jeu en mettant en mouvement tous les doigts, progressivement de deux jusqu’à cinq, et, par voie de conséquence, en passant de quatre notes tenues à zéro, la main se trouvant de plus en plus libre. Là encore, Liszt se montre radical en allant au cœur de la logique de transmission du mouvement d’une touche à l’autre dans le cadre d’enchaînements conjoints. Liszt veut combiner mobilité, précision et souplesse et pour cela enchaîne en les opposant systématiquement les modes de jeu legato et staccato, les groupes de deux notes et de trois en triolets, les rythmes réguliers et pointés, les accents sur les temps ou à contretemps, tout ceci étant destiné à favoriser la souplesse et la réactivité des doigts. Liszt commence par 1-2 en élargissant à 1-2-3-4-5, puis 2-3 en élargissant à 2-3-4-5 puis 1-2-3-4-5, puis 3-4 en élargissant progressivement aux cinq doigts selon le même principe puis enfin 4-5 en élargissant encore progressivement aux cinq doigts. Il serait réducteur de dire que Liszt travaille les difficultés en les séparant. Certes, les mesures 1 à 90 travaillent essentiellement le mouvement de levier et les mesures 91 à 318 essentiellement le mouvement de bascule. C’est oublier que le système de la note tenue en immobilisant quatre doigts pendant que le cinquième travaille, prépare en quelques sorte à la maîtrise du mouvement de bascule dans la mesure où le principe même de la note tenue travaille implicitement par l’immobilité le contrôle des mouvements parasites des doigts qui ne travaillent pas, surtout dans le contexte d’enfoncements variés issu de la logique subtile de progression de nuances qui fait l’essence même des mesures 1 à 91. Avec tout autant d’efficacité, Liszt relie le mouvement de bascule des mesures 91 à 318 avec le mouvement de levier travaillé des mesures 1 à 90, tout simplement par le subtil travail sur les modes de jeux legato et staccato commencé à partir de la mesure 91. À l’accompagnement par le doigt sans décoller de la touche du mouvement de levier travaillé entre les mesures 1 et 90, Liszt ajoute le staccato, donc l’attaque nerveuse et précise, légèrement de haut, à partir de la mesure 91, tout cela dans le contexte nouveau de la transmission du mouvement entre deux touches conjointes. La main se trouve comme encadrée et subtilement dirigée par une pédagogie du geste qui concentre le travail sur ce qu’il peut y avoir de plus élémentaires dans le rapport d’une main avec un clavier pour mieux redéployer ensuite ce travail sur l’élémentaire du geste vers un ensemble de situations visant à la plus grande exhaustivité. Ce qui frappe, aussi bien dans les exercices travaillant le mouvement de bascule que dans ceux travaillant le mouvement de levier, c’est le mélange de systématisme, d’exhaustivité, de simplicité et de rigueur dans la progression des formules de travail. Sans dévaloriser la rationalité de Cortot et ses principes, dont l’extrême sophistication tend parfois vers une sorte de folie rationnelle presque inquiétante, force est de voir que contrairement au grand pianiste et pédagogue français, Liszt n’oublie rien tout en ne s’embarrassant pas de sophistication inutiles et donc va à l’essentiel pour travailler l’essentiel. On l’a parfois accusé, en raison du caractère intensif, systématique et radical de ses exercices, de culturisme, voire de body building dirait-on aujourd’hui. Au lieu de voir dans ces exercices une forme d’acharnement culturiste sans doute serait-il plus exact de voir en eux, et notamment dans les 318 premières mesures des Technische Studien, les témoins d’un esprit qui avait une vision de la pédagogie de la virtuosité fondée, comme toute bonne pédagogie, sur une réduction à l’essentiel.

 

La mise en mouvement des mouvements élémentaires

 

Bien entendu, Liszt ne réduit pas l’apprentissage de la technique pianistique à la maîtrise des deux mouvements élémentaires que nous venons d’évoquer. Il s’en ajoute d’autres qui viennent faire système avec les mouvements de levier et de bascule : la rétropulsion, le déplacement conjoint, le déplacement croisé, l’octave, les écarts conjoints par transmission latérale et les trémolos. Les deux premiers livres s’arrêtent au mouvement de déplacement conjoint dont le travail conduit aux gammes. Le mouvement le plus vétilleux à analyser est celui de la rétropulsion. Cette question, implicite dès le premier exercice, se pose d’une manière plus prégnante dès qu’il s’agit de déplacer la main sur le clavier dans un contexte d’écriture en accords (exercices n° 2, 3 et 4) ou de mouvements conjoints montants ou descendants de type gamme (2e livre, exercices 5 à 12). On doit à Bertrand Ott d’avoir mis en évidence la question de la tirée, appelée aussi par lui rétropulsion, en se fondant notamment sur le Liszt Offenbarung de Clark[19]. Comme le remarque Bertand Ott « le mouvement omniprésent remplace la notion inerte ou forcée, grossière et mal équarrie du poids. L’attirance passive vers le bas due au magnétisme terrestre doit être compensée par une attirance vers le haut, ce qui supprime une partie du poids pour le transformer en mouvement, en rebondissement. Un état de légère tension dans le sens de la rétropulsion fournit au membre supérieur sa mobilité, sa légèreté. Les mains s’affinent aussi en n’étant plus victimes de charges en projection, manifestant la pauvreté de l’énergie trop rudimentaire et agressive. Le mouvement musculaire contribue encore plus au son que le poids toujours compensé »[20]. Plus loin il ajoute : « À y regarder d’un peu près, toutes les facettes de l’équilibre pianistique viennent d’un seul et unique principe : le doigt qui tire, par un geste de préhension, parce que la main est considérée organiquement pour ce qu’elle est : une pince à cinq branches »[21]. D’emblée, nous nous trouvons devant un problème. La « technique brachiale suspensive et rétropulsive » que Bertrand Ott définit comme étant l’essence même du jeu lisztien[22] pose la question du lieu du geste. Le mouvement de tirée se situe-t-il au fond de la touche, à la table, le fond de la touche, la table, stoppant en quelque sorte le mouvement de tirée, ou ailleurs ? Il est probable que le mouvement de tirée soit indissociable de celui du levier travaillé dans les Technische Studien sans oublier un contexte général de position suspensive que Bertrant Ott remarque aussi chez Liszt et sur laquelle nous reviendrons brièvement tout à l’heure. La leçon du début des Technische Studien est que, selon toute vraisemblance, le mouvement, et plus spécifiquement le mouvement de levier, annule d’une part le poids, et avec lui une série d’effets pervers (alourdissement, manque de souplesse et de rigidité, blocage du poignet notamment et gros son) issus d’un mouvement de tirée systématique qui ne serait fondée que sur l’adhérence systématique à la table, et qui serait l’origine du mouvement d’enfoncement et de levier au lieu d’en être seulement l’un des éléments. À partir du moment où l’essentiel du mouvement lisztien se situe dans l’osmose du doigt et du marteau, en enfonçant et en remontant, mouvement originel et travaillé dès le début des Technische Studien, la conception que l’on peut avoir de la tirée se modifie. Replacée dans le contexte des Technische Studien, la tirée est vraisemblablement subordonnée au mouvement de levier au lieu d’en être le moteur et surtout l’origine. Elle a pour point de départ selon toute vraisemblance la position légère, voire flottante du pp du premier exercice, et non une adhérence en force à la table que l’on se contenterait d’alléger en fonction des circonstances, des nuances et des effets. Par voie de conséquence et parce qu’elle a pour contexte le mouvement du levier auquel elle est subordonnée, la tirée peut se situer à différents niveaux d’enfoncement : en surface, à mi-route, légèrement à la limite de la table ou du cran du double-échappement, à la table mais sans qu’il soit nécessaire de lui donner un lieu privilégié puisque c’est un mouvement de levier parfaitement maîtrisé qui est prioritaire.

 

L’originalité de Liszt est ensuite de faire dériver le travail de l’écriture en accord (exercices 2 à 4) des exercices de cinq doigts destinés à faire travailler les doubles et les triples notes (exercice 1 mesures 319 à 453) puis les octaves, conçues comme extrémités de l’écriture en accords parfaits (1-2-3-5). Les exercices de doubles, triples notes et octaves reprennent le schéma rythmique et la progression de nuances des mesures 1 à 98 dont ils sont fondamentalement l’extension. En travaillant le mouvement de levier dans un contexte de doubles, triples notes et d’octaves associées à des notes tenues, Liszt montre bien que, pour lui, l’égalité de son et l’égalité entre les doigts sans oublier son corollaire qui est la capacité à faire ressortir à volonté dans un contexte polyphonique le ou les sons que l’on veut[23], s’obtiennent par une maîtrise parfaite du mouvement de levier. Par le moyen d’un exercice destiné à créer l’osmose la plus parfaite entre la main et le clavier, le corps et la machine, la main se machinise et le clavier s’organicise, le complexe corps-machine se trouvant alors en mesure de répondre subtilement aux sollicitations de l’esprit et de la pensée.

 

Ce n’est qu’au bout des colossales 545 mesures du premier exercice que Liszt aborde la question du posé de la main sur le clavier dans un contexte de mise en mouvement. Ce travail est l’objet des exercices 2 à 4. Enchaîner des accords de trois sons qui se déplacent à partir d’une empreinte d’accord parfait, cela dans la continuité de l’exercice n° 1 montre que la première exigence est celle de l’égalité. Il s’agit de vérifier que la main se pose avec souplesse et égalité sur le clavier. Cela ne résout pas pour autant la question du geste en tant que tel du poser sur le clavier. Liszt ne donne aucune indication précise au début de l’exercice n° 2 quant à la façon de poser la main. Sans doute faut-il chercher ailleurs ? Dès les années 1830, les leçons Boissier parlent d’abandon[24] tandis qu’on trouve dans la Grande fantaisie de bravoure sur la Clochette de Paganini l’indication « jeter la main avec souplesse »[25]. Jeter la main avec souplesse suppose une très légère préhension, qui suppose elle-même un subtil mouvement de rétropulsion, mais là encore comme nous l’avons montré tout à l’heure ces deux mouvements ont pour contexte général la maîtrise parfaite du mouvement de levier. En aucun cas préhension, rétropulsion, gestes auxquels il convient d’ajouter maintenant le rôle du poignet, ne viennent parasiter l’égalité obtenue par l’hybride homme-machine ses 455 mesures de l’exercice n° 1.


Le deuxième livre achève de mettre la main en mouvement. Il fait intervenir aussi d’une manière subtile le poignet, cela par un exercice préparatoire aux gammes fondé sur le déplacement conjoint : exercice n° 5. Cet exercice, appelé parfois « exercice Stavenhagen[26] », et qu’on trouve aussi dans d’autre recueils lisztiens tels la Schule des höheren Klavierspiels de Moriz Rosenthal ou encore les Exercices de Tausig, provient selon toute vraisemblance de la méthode de Kalkbrenner[27]. Complété par l’exercice n° 9 en notes répétées 2-1, dont on remarquera la dimension préhensive et rétropulsive du doigté 2-1, et par l’exercice n° 10 qui travaille le passage de pouce main immobile dans un contexte de notes tenues, il associe le mouvement de transmission conjointe d’une touche vers la touche voisine, travaillé dans le mouvement de bascule, à un mouvement de déplacement latéral mettant en jeu le poignet. L’enjeu est ici de travailler à la fois le posé de la main par le retour régulier de l’enfoncement du pouce en associant la reprise à chaque fois du mouvement de transmission latérale du mouvement à la transmission latérale du mouvement elle-même cela en élargissant à la fois le trajet selon la progression 1-2, 1-2 etc. (exercice n° 5), puis 1-2-3, 1-2-3 etc. (exercice n° 6), puis 1-2-3-4, 1-2-3-4 etc. (exercice n° 7), puis enfin 1-2-3-4-5, 1-2-3-4-5 etc. (exercice n° 8).

 


Liszt enchaine sur l’exercice 9 (notes répétées) et l’exercice 10 (passage de pouce), ce travail préalable sur le déplacement de la configuration de type cinq doigts, travaillée méthodiquement et progressivement (exercices 5 à 8). Tout ceci avant de rassembler les trois difficultés d’égalité des cinq doigts dans un contexte de déplacement (exercice 5 à 8), de transmission du mouvement 2-1 dans un contexte de notes répétées (exercice n° 9) et de déplacement latéral du pouce sous la main, passage de pouce, dans un contexte de notes tenues (exercice 10 et 11) sous la forme des traditionnelles et classiques gammes majeures dans tous les tons.

 

Beaucoup plus que de simples exercices préparatoires aux gammes, les deux premiers livres des Technische Studien sont une véritable école du virtuose, mais sans en avoir l’air. Nulle révolution, en apparence, dans ces sages et classiques exercices de notes tenues et de cinq doigts, de déplacements conjoints et de passages de pouces. Pourtant, en dépit des apparences, Liszt, par le regard qu’il porte sur le fond commun de l’exercice mécanique du XIXe siècle, opère une révolution, douce mais radicale, dans les modalités d’accès à la virtuosité transcendante et à l’Art du chant au piano. Avec pragmatisme, et peut-être d’ailleurs plus de pragmatisme, de sens pratique, que de rationalité abstraite, Liszt semble nous montrer qu’il ne peut y avoir de virtuosité transcendante mais aussi de continuité mélodique et de variété de couleurs dans le rendu de l’écriture complexe de l’écriture pianistique, que si les mouvements les plus élémentaires de la main sur un clavier de piano sont maîtrisés. Pour ce faire, il ramène la technique pianistique à son essence gestuelle élémentaire pour pouvoir mettre le virtuose dans les conditions optimales de pouvoir tout jouer. Avec beaucoup d’efficacité, il réduit le rapport de la main au clavier à deux gestes élémentaires, le mouvement de levier et le mouvement de bascule, qu’il explore d’abord de la manière la plus exhaustive possible et ensuite qu’il met en mouvement. Liszt propose, dans cette opération de réduction élémentaire à l’élémentaire du mouvement, des hiérarchies nouvelles. Ce qui était essentiel comme la position rigide de la main et des doigts sur le clavier devient secondaire au profit de la parfaite osmose du mouvement du doigt avec le mouvement de levier du marteau ; ce qui pourrait mener à l’inconsistance comme l’abandon ou la main-morte, ce qui pourrait s’avérer parasite voire dangereux, pour la souplesse du poignet par exemple, comme une rétropulsion exclusivement contrôlée par le rapport de l’enfoncement du doigt à la table du clavier, devient, parce qu’il est subordonné à une parfaite maîtrise des mouvements élémentaires de levier et de bascule aux différents degrés de l’enfoncement, une véritable chorégraphie. Apte à rendre les figures vertigineuses de la Grande fantaisie de bravoure sur la Clochette de Paganini, les polyphonies colorées de la Symphonie Pastorale de Beethoven, les jongleries de la Marche indienne de l’Africaine de Meyerbeer et les fioretti de Saint François d’Assise prêchant aux oiseaux.

 

 

Les filiations lisztiennes sont nombreuses, certaines hypothétiques. Avec les temps, nous en proposerons un certain nombre. Paradoxalement, ce n’est peut-être pas en puisant dans le répertoire virtuose des virtuoses fracassants que l’on peut avoir une idée du mouvement lisztien mais peut-être plutôt dans un répertoire où le mouvement est plus épuré. Wilhelm Backhaus (1884-1969), comme Edwin Fischer (1886-1960), a été élève d’un des élèves de Liszt qui, avec Tausig et Rosenthal, compte le plus : Eugen d’Albert (1864-1932). A titre de premier commentaire de cette vidéo, on constatera l’économie de moyens, la parfaite osmose et le système d’équilibre entre 1°) le mouvement du doigt qui saisit (ce qui est conforme à certaines observations des leçons Boissier) mais dans une parfaite maîtrise de l’enfoncement vertical qui fait que cette saisie n’est pas une tirée (ce qui est cohérent avec les Technische Studien) 2°) le mouvement de balancier de la mécanique du piano et l’articulation métacarpienne, 3°) le rôle régulateur et transmetteur du poignet (conforme là encore aux observations des leçons Boissier) et 4°) l’adhérence du doigt sur la surface de la touche (laquelle est paradoxalement perceptible juste avant l’action entre 2’40 et 2’50 quand la main va jouer mais ne joue pas encore). Dans ce système qui est un système hiérarchisé à partir de la relation doigt-touche-levier-bascule, la position du poignet (plutôt cassé à certains moments et dans l’alignement de l’avant bras et du dessus de la main à d’autres) reste relativement secondaire par rapport à la relation doigt-touche-levier-bascule en même temps qu’elle fait système avec la suspension qui, comme le rebond, est sollicitée en fonction des besoins.

 

BRUNO MOYSAN
Professeur agrégé de musique et docteur en musicologie, Bruno Moysan est le président de l’Association Française Franz Liszt fondée par Blandine Ollivier-de Prévaux. Il enseigne la musique au lycée Marceau de Chartres, les relations « Musique et politique » à l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences-Po) depuis 1998, est intervenu au CNSMDP sur le même sujet entre 2007 et 2009. Il a aussi enseigné à l'EHESS, à l'Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines et est actuellement chargé d’un cours à Paris VIII (département de musicologie) sur journalisme et musique. Son ouvrage Liszt (Gisserot, 1999) a reçu en 2000 le prix de l'Association des professeurs et maîtres de conférences de Sciences-Po. Coauteur de Culture et religion : Europe, XIXe s. (Atlande, 2002), ses recherches portent essentiellement sur la musique romantique et les relations entre musique, politique et lien social dans les sociétés démocratiques modernes, l'Europe et le libéralisme. Il est l'auteur de nombreux articles de musicologie dans des revues spécialisées en France et à l'étranger. Issu de sa thèse de doctorat, son ouvrage Liszt, virtuose subversif (Symétrie, 2009) a reçu une mention spéciale du Prix des Muses.

 

 

[1] Ce texte est avant tout un work in progress. Il n’est pas achevé car pour moi un certain nombre de choses restent encore mystérieuses, certaines affirmations n’en sont encore qu’au stade de l’intuition insuffisamment prouvée mais peuvent en revanche, c’est ce qui fait leur intérêt, donner matière à débat, avec des pianistes, des chercheurs, des spécialistes de la facture instrumentale ancienne. D’où, à mon avis l’intérêt, de diffuser ces intuitions dès à présent dans un contexte plus large, plus ouvert plus moderne aussi, plus fluide, que celui de la recherche purement académique. Ce texte a aussi une histoire. Une histoire ancienne d’abord. J’ai été élève de Bertrand Ott, bien connu pour ses travaux sur le piano lisztien. C’est en partie à cause de mon passage chez lui que je me suis intéressé à Liszt et à l’aspect technique et digital de son écriture. Le choix de faire une thèse sur les fantaisies de Liszt sur des thèmes d’opéras n’a pas été étranger à cette préoccupation technique et une partie des données présentes dans ce texte sont issues du chapitre de ma thèse consacré à la technique de Liszt. Ce texte a aussi une histoire plus récente. C’était au départ une commande de Nicolas Dufétel pour le volume Liszt e il suono di Erard, Arte e musica nel romanticismo parigino, Briosco, Villa medici Giulini, 2011. Ce texte n’a pas pu paraître dans le volume en raison de la façon trop peu planifiée avec laquelle j’ai géré le trop plein d’activités et de commandes du bicentenaire de Liszt. Il avait été relu malgré tout par Nicolas Dufétel que je remercie. [retour texte]

[2] Ainsi que le remarque Alan Walker : « Liszt ne s’intéressant pas à l’enseignement de la technique […] le jeune homme [Bülow] dut se débrouiller seul et se prescrivit à lui-même l’Ecole de la vélocité de Czerny et les études d’Henselt sur lesquels, précise encore Walker citant Bülow lui-même, [il] crucifie, comme un bon Christ, la chair de [s]es doigts, de manière à en faire d’obéissantes machines soumises à l’esprit ». (Alan Walker, Liszt, Paris, Fayard, 1989, pour la traduction française, p. 639) [retour texte]

[3] Ainsi que le remarque Moritz Rosenthal : « What was especially interesting in this teaching was the clarification of musical structure, his emphasis on hidden subtleties, and his explanations of the relation of each work to the evolution of art, for he looked at everything with the eyes of a creator ». “ Ce qui était particulièrement intéressant dans son enseignement, était la clarification de la structure musicale, son accent mis sur les subtilités cachées, et ses explications sur la relation de chaque œuvre avec l’évolution de l’art. En effet, il voyait tout avec les yeux d’un créateur. » Moriz Rosenthal, « Franz Liszt, Erinnerungen und Betrachtungen », Die Musik (1911) Band 57, 11 : 46-51 traduit aussi en anglais et publié par Elise Braun Barnett sous le titre “An annotated Translation of Moriz Rosenthal’s Franz Liszt, Memories and Reflections”, dans Current Musicology, n° 13, printemps 1972, pp. p 30. De son côté, Charles Rosen rapportant certaines de ses conversations avec Moriz Rosenthal dont il a été élève précise avec humour : « “About his studies with Liszt he [i.e. Moritz Rosenthal] was more reticent : when I asked him what the lessons were like, he said only that it was difficult to get Liszt out of the café and back to the studio”. Au sujet de ses études avec Liszt, il (i.e. Moriz Rosenthal) était plus réticent : lorsque je lui demandai comment se déroulaient les leçons, il répondit tout simplement qu’il était difficile de sortir Liszt du café et de le ramener au studio » Charles Rosen, « Préface » de Moriz Rosenthal in word and in music, a legacy of the Nineteenth century, edited and with an Introduction by Mark Mitchell & Allan Evans, Preface by Charles Rosen, Bloomington & Indianapolis : Indiana University Press, 2006, p. XI. [retour texte]

[4] Nous devons à Wilhelm von Lenz une description intéressante de Liszt en 1828 : « Il était allongé sur un large divan, plongé dans une méditation profonde, perdu en soi, et fumait, au milieu de trois pianos, une longue pipe turque » dans Wilhelm von Lenz, Les grands virtuoses du piano, Liszt-Chopin-Tausig-Henselt, traduit et présenté par Jean-Jacques Eigeldinger, Paris, Flammarion, 1995, p. 47. Un peu plus loin dans le même récit, des propos de Liszt, désignant selon toute vraisemblance parce que nous sommes en 1828 des pianos Erard, montrent que Liszt alourdit considérablement le clavier d’un de ses pianos : « Eh bien apportez-moi, je vous prie, dit Liszt à Lenz, tout ce qui est dans votre malle et je vous donnerai des leçons pour la première fois de ma vie puisque vous me faites connaître Weber au piano et que vous ne vous êtes pas laissé effaroucher par cet instrument à la mécanique lourde ; je me le suis commandé spécialement afin d’avoir fait dix gammes quand j’en fais une dessus : c’est un piano absolument impossible. C’était une mauvaise plaisanterie de ma part. […] Jouez-moi votre chose. Qui commence de manière insolite. Là, c’est un des plus beaux pianos de Paris, là où vous vouliez prendre place tout d’abord. » dans Wilhelm von Lenz, Les grands virtuoses du piano, p. 50 [retour texte]

[5] Bertrand Ott, Liszt et la pédagogie du piano, Essai sur l’art du clavier selon Liszt, Issy-les-Moulineaux, EAP, 1978. [retour texte]

[6] Les 57 exercices constituant les Technische Studien éditées en 1886 plus les 12 gro?e Etüden retrouvées ultérieurement mais qui sont en réalité des exercices, le titre de 12 gro?e Etüden est apocryphe, qui n’ont rien à voir le projet esthétique de ce que Liszt a appelé études (Etudes d’exécution transcendante par exemple), devraient faire 69 exercices. Le chiffre de 68 s’explique simplement par la proximité existant entre l’exercice numéroté 57b qui termine les Technische Studien (EMB volumes I et II) et l’exercice numéroté 57a des 12 gro?e Etüden (EMB volume III). [retour texte]

[7] Mezö, « Préface » dans Liszt, Technische Studien, vol. 1, p. XI. [retour texte]

[8] Ainsi Bertrand Ott dans son Liszt et la pédagogie du piano écrit : « La contribution de Liszt à la pédagogie du piano nous semble bien plus enrichissante quand il compose un morceau ainsi qu’il le fit avec ses deux Etudes pour la méthode Lebert et Starck : La ronde des lutins, Les bruissements de la forêt, ou encore Les Etudes d’après Paganini ou Les Etudes d’exécution transcendante » ; il ajoute : « En exagérant quelque peu, oserons-nous appliquer à propos des Etudes techniques cette phrase du froid critique viennois Hanslick sur la bouleversante Sonate en si mineur de Liszt : ‘Un moulin de génie qui moud du vide’ ? ». (Ott, p. 284). [retour texte]

[9] Aloys Schmitt, Exercices préparatoires, op. 16. [retour texte]

[10] Friedrich Kalkbrenner, Méthode pour apprendre le piano-forte avec le guide main [...], Paris, Pleyel s. d. [1830]. [retour texte]

[11] Ott, Liszt et la pédagogie du piano, p. 90. [retour texte]

[12] Liszt, Technische Studien, vol. 1, p. 2. [retour texte]

[13] « Chaque doigt, avant d’être employé, doit être tenu près de sa touche sans cependant l’atteindre et reprendre cette même position après l’avoir frappée » dans Czerny, Méthode complète ou Ecole du piano [...] op. 500, vol. I, Paris, Richault, 1838, p. 8. [retour texte]

[14] Madame Auguste Boissier, Liszt pédagogue, Leçons données par Liszt à Mademoiselle Valérie Boissier à Paris en 1832, Paris, Champion, 1993, p. 16. [retour texte]

[15] Madame Auguste Boissier, Liszt pédagogue, p. 71. [retour texte]

[16] Madame Auguste Boissier, Liszt pédagogue, p. 90. Bertrand Ott ajoute de son côté, page 64 de son livre, une observation issue d’après lui des leçons Boissier : « Les doigts de Liszt, courbés et non pas totalement plats, semblaient collés aux touches et ne les battaient pas ». [retour texte]

[17] Liszt, Grande fantasia di bravura sur la Clochette de Paganini, Paris, Schlesinger, 1834, p. 1. [retour texte]

[18] Cette question du rapport du doigt à la surface de la touche est un vrai problème... qui, à mon avis, perd en intensité à partir du moment où, dans le geste lisztien, le rapport d’osmose avec le mouvement de levier du marteau, une fois le doigt en contact avec la touche, devient prioritaire sur l’endroit d’où vient le doigt avant d’adhérer à la surface de la touche et la position du doigt lui-même. Il reste que, par exemple, la Méthode de piano d’Istvan Thoman, semble infirmer l’idée d’une adhésion systématique qui serait une contestation en quelque sorte de l’attaque de légèrement haut qui était celle de Czerny. « Dans le premier exercice, pendant les pauses, écrit Istvan Thoman, le doigt attendant son tour devra si possible être levé assez haut, de manière à être prêt à frapper. L’impact ne doit pas se faire de façon violente, en déployant un grand effort, mais résulter d’une détente rapide du doigt. La seconde et troisième phalanges doivent être repliées de manière que l’ongle soit perpendiculaire à la touche, sans pour autant être en contact avec celle-ci [...]. Les exercices n° 1, 2, 3, 4 et 5 dans lesquels figurent entre parenthèse des rondes et des blanches pointées, doivent être pratiqués de deux façons : d’abord en gardant enfoncées silencieusement les touches correspondant aux notes entre parenthèses, puis en effleurant les touches en question, sans les enfoncer » dans Istvan Thoman, The technique of piano playing/Méthode de piano, Budapest, EMB, s. d., p. 7. [retour texte]

[19] F. H. Clark, Liszt Offenbarung, Berlin, Vieweg, 1907. [retour texte]

[20] Ott, Liszt et la pédagogie du piano, p. 153. [retour texte]

[21] Ott, Liszt et la pédagogie du piano, p. 161. [retour texte]

[22] Bertrand Ott dans une savante rétrospective de l’évolution du jeu de Liszt (pages 156-161) montre que Liszt évolue entre 1840 et 1860 en passant d’une « technique brachiale suspensive et rétropulsive en pronation » (alentours de 1840) vers « une technique brachiale suspensive et rétropulsive de tendance supinatrice » (alentours de 1860), le passage de la pronation vers la supination n’étant que la modification d’un geste encore plus fondamental que Bertrand Ott définit donc comme étant une « technique brachiale suspensive et rétropulsive ». [retour texte]

[23] Boissier p. 15. [retour texte]

[24] Boissier p. 16. [retour texte]

[25] Liszt, Grande Fantasia di Bravura sur la Clochette de Paganini, p. 13. [retour texte]

[26] Bertrand Ott, communication orale. [retour texte]

[27] Pour une discussion plus approfondie sur cette question voir dans Bruno Moysan, La réécriture et ses enjeux dans les fantaisies de Liszt sur des thèmes d’opéras (1830-1848) – Musique, sémantique, société, Lille, Septentrion-ANRT, 1998, les pages 528 à 535 consacrées à cette question. [retour texte]

 


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