Les Amateurs ! au Châtelet - Festival de piano

Rencontre avec Julien Kurtz, directeur artistique du festival de piano Les Amateurs, à l'occasion de la 6ème édition de la manifestation qui se déroulera du 1er au 5 juin au Théâtre du Châtelet à Paris.

18/5/2011
Les Amateurs ! au Châtelet - Festival de piano Qu’est-ce qui a motivé la création de ce festival de piano dédié aux amateurs ?

Julien Kurtz : L'idée du festival est venue d'un manque. En tant que pianistes amateurs, mon associé Dominique Xardel et moi-même savons combien les occasions de se produire en public sont rares, en dehors de concerts dans des cercles familiaux ou amicaux assez étroits. À l’issue du concours de Boston où nous nous sommes rencontrés en 2007, nous avons pu observer tous ces musiciens avides de partager leur passion, riches d'un répertoire très vaste et de qualités musicales remarquables. Nous avons trouvé dommage et étonnant qu'il n'existe pas d'événement régulier pour leur offrir une scène et un public, en dehors des concours d'amateurs qui essaiment partout dans le monde depuis plusieurs années. Nous avons précisément voulu une manifestation d'un genre nouveau, qui écarte toute idée de compétition. Dans « festival », il y a l'idée de « fête », d'où notre volonté de faire des Amateurs !  un lieu où les musiciens et le public se retrouvent dans la bonne humeur, autour de leur passion commune pour le piano et la musique. Les Amateurs !, c'est aussi l'occasion pour les musiciens invités, le temps d'un concert, de fouler des scènes prestigieuses et de réaliser un rêve en se produisant dans des lieux mythiques. 

Quels sont les critères qui président au choix des pianistes invités ?

Les pianistes non-professionnels invités ont tous été finalistes d'un concours international d'amateurs de piano (Berlin, Washington, Paris, Varsovie, Vienne etc.). C'est une condition préalable mais pas toujours suffisante. Nous participons régulièrement à ces concours, qui nous donnent l'occasion de découvrir de nouveaux talents. Il faut que nous ressentions de vraies affinités, artistiques et personnelles, avec les musiciens : le festival reste avant tout un lieu de rencontres et d'émotions partagées entre les artistes, avec et pour le public. Un pianiste peut avoir remporté tous les premiers prix, s'il nous laisse indifférents ou si son jeu nous heurte, nous ne l'intégrons pas à notre programmation. Nos choix artistiques sont guidés par un souci de diversité, à la fois dans les styles et le répertoire. À terme, notre objectif est de faire du festival un moment incontournable de découverte du piano sous toutes ses formes, où le public, quelles que soient ses préférences, trouvera son bonheur. C'est pourquoi notre programmation, bien que guidée par un fil conducteur différent d'une année à l'autre, revendique un éclectisme que nous concevons comme une richesse. 

Julien Kurtz photo: Emanuele Bastoni, Imago Arts, Italie / www.emanuelebastoni.com

Julien Kurtz
photo : Emanuele Bastoni

Quel sera le fil conducteur de cette 6e édition ?

Liszt, bien sûr, le roi du piano ! Liszt ne fait pas toujours l'unanimité chez les musiciens, mais il est aussi de ceux qui ne laisse personne indifférent : certains le méprisent et ne voient en lui qu'un pianiste de « cirque » - occultant ainsi des pans complets de son oeuvre, qui ne se résume évidemment pas aux Rhapsodies hongroises les plus virtuoses (et on trouve pourtant de la fort belle musique dans ses Rhapsodies aussi...). D'autres, dont je suis, considèrent qu'il a révolutionné non seulement la technique du piano, mais aussi inventé le récital moderne, et qu'à ce titre, tous les pianistes ont envers lui une grande dette.  Il aurait donc été inconcevable de ne pas lui rendre hommage pour son 200ème anniversaire - ce qui est l'occasion de mettre en évidence les multiples facettes de son génie, et la richesse de son oeuvre. Par-delà la musique de Liszt qui sera présente tout au long du festival, les interprètes ont la plus totale liberté dans le choix de leur répertoire, ce qui permettra d'entendre des oeuvres de tous les styles et époques : Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Schumann, Brahms, Ravel, Grieg, Rachmaninoff, Liapounov, Messiaen, Poulenc, Gershwin, Bartok, Enesco, Lowell, etc. Sans parler bien sûr d'un concert d'improvisations proposé par Jean-François Zygel, dans la plus pure tradition des récitals donnés par Liszt !

Pour cette édition, vous associez des artistes de renom à des pianistes amateurs. Quel sens donnez-vous à cette démarche ?

Nous avons voulu cette mixité de musiciens amateurs et professionnels pour permettre aux deux univers, parfois superficiellement opposés et imperméables l'un à l'autre, de tisser des liens, que ce soit grâce aux master-classes ou à travers des concerts. Au fond, nous considérons que la distinction entre « amateurs » et « professionnels » n'a pas une grande pertinence, et que ce qu'il importe davantage de mettre en avant chez un musicien est son talent, indépendamment de son statut amateur ou professionnel. D'où l'idée de fédérer des musiciens, quel que soit leur horizon, sous la dénomination « Amateur » pris au sens premier : celui qui aime. Cette démarche désacralise le pianiste tel qu'il est parfois perçu : distant, voire inaccessible. Nous voulons ainsi rendre à l'interprète sa part d'humanité, et sommes convaincus qu'une telle approche contribue à renouveler le public du concert classique. Les artistes invités ont tous en commun cette vision de la scène et considèrent que la musique doit avant tout être un moment de plaisir partagé avec le public.

C'est la prestigieuse scène du Théâtre du Châtelet qui accueillera l'édition parisienne du festival cette année. Qu'est-ce qui a séduit Jean-Luc Choplin, directeur du théâtre, dans votre projet ?

C'est à lui qu'il faudrait poser la question ! Cependant, je crois qu'il suffit de s'intéresser à la programmation du Théâtre du Châtelet depuis 2006 pour se rendre compte que Jean-Luc Choplin est un véritable innovateur. Il est prêt à parier sur des projets, pourvu qu'ils apportent du renouveau. C'est la raison qui nous a conduits vers lui pour lui proposer d'accueillir le festival. Il nous a tout de suite fait confiance, ce dont nous lui sommes très reconnaissants. Je pense que le festival lui a plu parce qu'il est unique en son genre et donne la parole aux passionnés. Jean-Luc Choplin est lui-même flûtiste amateur et il a probablement été sensible au fait que des musiciens, exerçant par ailleurs des professions souvent éloignées de la musique, soient prêts à venir du monde entier, prenant sur leurs congés, pour partager le fruit d'années de travail avec le public.

 

Depuis sa création, le festival Les Amateurs ! se déroule en deux étapes : Nice et Rio en 2009, Nice et Shanghai en 2010, Paris et Budapest cette année. Envisagez-vous dans le futur d'étendre son rayonnement international ?

Nous avons déjà bien engagé les choses de ce point de vue ! Même si cela est parfois difficile et requiert un lourd travail de préparation, nous nous efforçons chaque année d'exporter le festival dans un nouveau pays. Cela dépend bien sûr des opportunités d'accueil. Cette année, Budapest nous a semblé une destination incontournable pour rendre hommage à Liszt. De surcroît, après l'Amérique du sud et l'Asie, il était logique que nous choisissions une destination européenne. En 2012, il est probable que le festival aura lieu en Italie. Pour les années, suivantes, nous réfléchissons déjà au Canada, au Japon, aux Etats-Unis, à la Colombie, etc. Ces éditions itinérantes sont l'occasion d'aller à la rencontre de nouveaux publics et permettent aux musiciens de jouer sur des scènes auxquelles ils n'auraient jamais eu accès sans le festival. Ils rencontrent des publics différents, toujours enthousiastes, nombreux... Je crois que c'est pour eux une expérience inoubliable. Souvent, les pianistes ne parlent pas la langue du pays d'accueil. On prend alors conscience de l'universalité de la musique, de sa capacité à tisser des liens humains, par-delà les barrières linguistiques.

 

Du 1er au 5 juin au Théâtre du Châtelet à Paris.